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Mortelles canicules


Nyko
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Anglars St-Félix (12) - Col de Bonnecombe (48)

Emmanuel Le Roy Ladurie, historien du climat, explique dans « Histoire humaine et comparée du climat » (Fayard, sortie le 10 juin) comment, en raison des incidents climatiques, la France a vu, entre autres, sa population diminuer de moitié de 1328 à 1440

Durant deux millénaires, la date des vendanges fut une grande préoccupation des sociétés rurales en Occident. Précoce ou tardive, aucun des chroniqueurs, au Moyen Age, ne manquait de la signaler. A la fin des années 50, Emmanuel Le Roy Ladurie, « visitant » les paysans de Languedoc sous l'Ancien Régime pour les besoins de sa thèse, put y mesurer l'importance de la conjoncture vigneronne. Le jeune historien - il est né en 1929 - en comprit aussi tout l'apport à ce qui devint dès lors une grande affaire de sa vie intellectuelle : l'histoire du climat.

Au mûrissement instable de la grappe et de la gerbe s'ajouta le regard qu'il porta sur l'évolution des glaciers, inscription vivante des variations séculaires du temps qu'il a fait. Puis, lecture faite des travaux innombrables et dispersés des climatologues, géologues, glaciologues, palynologistes et autres dendrochronologistes, fut élaborée dans l'allégresse une synthèse originale et puissante, l'« Histoire du climat depuis l'an mil », parue en 1967.

Le « petit optimum médiéval » et le « petit âge glaciaire » eurent désormais les honneurs populaires du sigle, POM et PAG. Grâce à Le Roy Ladurie, le climat devenait à l'Histoire ce qu'il avait été à la philosophie politique avec Montesquieu. Il y a quarante ans, l'histoire climatique avait été traitée en soi, écartant délibérément tout anthropocentrisme. Restait à franchir une « deuxième étape, écrivait alors Le Roy Ladurie, au cours de laquelle le climat ne serait plus envisagé pour lui-même, mais comme ce qu'il est pour nous, comme écologie de l'homme », tant il est vrai que le gel et la canicule continuent, comme le prouvent les deux extraits qui suivent, même dans les sociétés les plus avancées, de faire la pluie et le beau temps.

Après bien des excursions très remarquées dans d'autres territoires historiques, le professeur honoraire au Collège de France, membre de l'Institut et docteur honoris causa de treize universités étrangères, présente aujourd'hui, au sommet de sa maturité, avec cette « Histoire humaine et comparée du climat », la deuxième partie d'un programme conçu au temps de sa jeunesse

1420/2003 - MÊME COMBAT

«Parmi les années de vendanges précoces assez bien caractérisées de la période 1415-1435, le millésime 1420 se détache, au Nord comme au Sud (mais, on va le voir, avec un fort accent méridional, notamment toulousain) ; pour nous en tenir à la Bourgogne, les vendanges 1420 à Dijon sur la série Lavalle six fois séculaire sont parmi les plus précoces connues (25 août). On se croirait en 2003 ! [...]

« Metz, 1420 : temps beau et chaud pendant le printemps, muguet fleuri le 10 avril. Maturation précoce des fruits : fraises mûres le 10/4 ; cerises le 9/5 ; fèves et pois le 10/5 ; seigle nouveau le 15/5 ; verjus nouveau le 19/5 ; raisins presque mûrs le 1/7 ; vin nouveau le 31/7 ; fruits, les uns et les autres (mais pas forcément les céréales) abondants et bon marché. »

D'une façon générale, les vendanges de 1420 sont en avance d'un mois sur leurs dates usuelles. L'été est à l'indice 9 maximal, « extremely warm », sur l'échelle de Van Engelen et il vient après un hiver doux. On ne compte pendant l'époque du petit âge glaciaire que neuf étés à l'indice 9 (ce sont 1326, 1420, 1422, 1473, 1540, 1556, 1781, 1783 et 1846) ; et puis trois étés à l'indice 9 lors de la phase du réchauffement contemporain, jusqu'en 2000 : ce sont 1859, 1868, et 1994. [...]

Ces jolies chaleurs ont donné (comme il arrive à mainte reprise en telle conjoncture) de bonnes récoltes de céréales, en secteur Est : superbes blés bien mûrs, bien lourds, bien récoltés sous un ciel bleu très breughélien. Il en va ainsi à Stuttgart et en Rhénanie-Westphalie...

Mais ailleurs, « chez nous », plus à l'occident, ce n'était plus tiédeur féconde lors de l'énorme ensoleillement de 1420. C'était un brûlage. Echaudés, étrillés, réduits, les épis le sont sur un axe anglo-franco-occitan, en partie « Plantagenêt », qui va de Winchester à Paris et de l'Ile-de-France à l'Aquitaine. Le fait est qu'en zone anglaise la moisson de 1420 a été « frumento*-déficitaire » : les rendements des céréales ont baissé de 23,1 % au sud de la grande île (évêché de Winchester), l'été fut effectivement très sec (Siccitas estivalis) et l'on a dû acheter du foin pour les boeufs de labour, la prairie winchestérienne ayant manqué à tous ses devoirs en raison du déficit pluviométrique.

Quant à l'« Hexagone » ? Quid d'un 1420 franco-français, j'allais dire oc-oïl ? En zone d'oïl, l'« Oïlanie », en particulier l'Ile-de-France et les zones ultranordistes aujourd'hui françaises, une assez forte hausse des prix du froment s'impose pour 1420, étalée en fait sur toute l'année post-récolte 1420-1421 : à Douai (comme à Anvers) on passe de 0,50 livre parisis la rasière fromentale en octobre 1419 à 0,77 en octobre 1420 et 1,04 en octobre 1421. Doublement. Même le prix des chapons nourris de grain s'en ressent (un peu) [...]

Plus au sud, les guerres autour de la capitale n'arrangent rien en raison de violentes péripéties, postérieures au traité de Troyes (mai 1420). Dès l'Avent 1420, le bourgeois de Paris se fait l'écho de la famine en cours : « Item, écrit-il [en décembre 1420], enchérit tant le blé et la farine que le setier de blé froment valait à la mesure des halles de Paris 30 francs de la monnaie qui lors courait ; et la farine bonne valait 32 francs, et autre grain haut prix, selon qu'il était ; et n'y avait point de pain à moins de 24 deniers parisis pour pièce, qui était à tout le bran [son], et le plus pesant ne pesait que 20 onces ou environ. [...] Et sur les fumiers parmi Paris (en) 1420, pussiez trouver ci dix, ci vingt ou trente enfants fils et filles, qui là mouraient de faim et de froid, et n'était si dur coeur qui par nuit les ouît crier ; « Hélas ! je meurs de faim ! » qui grande pitié n'en eût ; mais les pauvres ménagers ne leur pouvaient aider, car on n'avait ni pain, ni blé, ni bûche, ni charbon. »

Le prix de l'avoine a vingtuplé

Comme l'écrit sobrement l'un de nos chronologistes, « 1421, printemps, la famine sévit ». Effectivement les prix des céréales ont beaucoup monté sur le marché des bords de Seine, au cours de l'an post-récolte 1420-1421. Le seigle, d'après Fourquin, se situait aux environs de 6 à 9 sous parisis le setier lors des années antérieures à 1415, puis la hausse vertigineuse intervient ; 3 à 4 livres parisis en mai 1421, après une très mauvaise récolte 1420 surgie out of the blue, à partir d'un ciel trop constamment bleu, dix mois plus tôt. Quant au prix de l'avoine circumparisienne, il a vingtuplé entre 1415 et avril-mai 1421 !

L'inflation-dévaluation des monnaies a contribué bien sûr, pour une forte part, à ce processus presque incroyable. Mais elle ne jouait pas en solo, puisque compliquée de disette, elle-même fille des amours monstrueuses qu'ont nouées le mauvais climat et la guerre dévastatrice [...]. Malgré tout, elles ne sont pas seules en cause puisque, contre-épreuve démonstrative, l'assez bonne récolte de l'été 1421 fera baisser le prix du seigle des campagnes parisiennes à 3,1 livres parisis en septembre 1421, et puis 2,5 livres en octobre, pour le fixer à la fin aux environs de 2,1 livres en 1422-1423 [...].

Façon de rappeler aussi, en dépit de toutes les jérémiades rétrospectives des partisans du laisser-faire et autres libertariens ou économistes libéraux, qu'en 1420 comme pratiquement en toute période de l'ancien ou très ancien régime économique on était déjà, quant au blé, dans un système [...] de l'offre et de la demande qui dictait les prix dans les halles des marchés urbains [...].

Dans le Midi, lequel était plus vulnérable au chaud-sec que le Bassin parisien, l'année 1420 fut désolante : « Albi, mars-avril et mai très secs ; aucune pluie en mai, sauf à deux reprises. » Précocité typique d'une année chaude : cerises albigeoises mûres le 16 avril ; récolte de seigle précoce à partir du 25 mai et mauvaise moisson... très vraisemblablement par échaudage et sécheresse, compte tenu du contexte météorologique qui vient d'être indiqué. Mauvaise récolte à Pamiers (Ariège) et mauvaise collecte du blé aussi autour de Sienne, précocité des vendanges en Ligurie. Tout se tient, logiquement et factuellement.

D'où la puissante hausse des prix du blé à Toulouse lors de l'année-récolte 1420-1421. On passe de 13 sous le carton en 1419 à 26 sous en 1420 et 56 sous en 1421. Hausse diagnostiquée avec la plus grande précision par Philippe Wolff, mais qu'il a tort d'attribuer uniquement à l'inflation monétaire alors que la météorologie tant aquitaine qu'européenne y est certainement pour beaucoup.

Quoi qu'il en soit, l'année-récolte 1420-1421 fut, parmi quelques autres, une étape non négligeable, au long de la spirale descendante qui mène la démographie française des 20 millions d'âmes de 1328 aux 10 millions d'habitants de 1440. Une dizaine de millions d'âmes s'étant, graduellement ou par à-coups successifs, évaporée dans l'intervalle. L'épidémie bien sûr a donné aux famines le coup de pouce qui s'imposait, étant post-corrélative de celles-ci, ou déclenchée sur le mode autonome. Ce sont les fameuses gâchettes qui s'enclenchent l'une après l'autre, qu'évoquera Jaurès, beaucoup plus tard, dans un tout autre contexte.

De fait, le coup de chaleur et de disette de l'été 1420 fut certainement suivi d'une épidémie opportuniste, consécutive à cet épisode climatiquement et frumentairement difficile. S'agit-il d'une peste ou tout simplement d'une dysenterie, venant après plusieurs mois secs et surtout brûlants, par infection des rivières à demi asséchées ? [...].

En tout cas sur le fait lui-même de la mortalité de la crise, passage de la faim à la morbidité, les documents recueillis par Philippe Wolff à Toulouse sont clairs : « Grâce à un registre du Collège de Périgord, voici des renseignements précis sur l'épidémie de 1420 : le vendredi 13 septembre, le prieur diminue l'ordinaire du Collège, plusieurs étudiants ayant quitté la ville par peur de la mortalité ; en décembre, le prieur doit se rendre à Rodez, afin d'y trouver pour les travaux des vignes la main-d'oeuvre qui, à Toulouse, s'est raréfiée en raison de l'épidémie. C'est à celle-ci sans doute qu'on fait allusion dans un acte de 1424, où il est reproché à sire Jean de Gauran, professeur de droit, d'avoir consommé les blés, foins et volailles d'une métairie située dans le faubourg de Toulouse, métairie appartenant à l'un de ses amis, chez lequel il s'était réfugié avec sa famille, ses serviteurs et ses chevaux lors de la mortalité : au bout d'un mois, c'est vrai, le réfugié y était mort, sans avoir dédommagé son logeur. »

Le complexe famine-épidémies de 1420 a certainement frappé d'un bout à l'autre du territoire (actuel) de la France, puisqu'on retrouve, telle quelle, la très forte mortalité de ce même an, à Cambrai et dans le Cambrésis, étudié de fort près pour cette année et pour quelques autres par Hugues Neveux.

1636/2003 - LA « MÉGAMORT »

«L'année 1636 réserve au météo-chroniqueur une désagréable impression : en dépit de situations frumentaires radieuses, elle se traduit par une violente éruption du nombre de morts [...]. Approche-t-on le demi-million supplémentaires ?

La crise de subsistance, inexistante en cet an-là, n'y est pour rien. Jamais, à un cheveu ou epsilon près, les prix du blé n'ont été aussi bas qu'en 1636, par rapport à toute la période qui va de 1631 à 1644. Il faut donc trouver autre chose, autre facteur, quant à cette prédominance de Thanatos en 1636. La peste ? Bien sûr. En 1636, on ne compte pas moins de 51 villes « françaises » affectées par cette maladie. Mais est-ce le motif suffisant ? En 1628, le chiffre annuel homologué montait à 80 villes pesteuses ; en 1630, un peu davantage ; en 1629, idem ; et pourtant les nombres de décès n'atteignaient point aux records de 1636.

Suggérons donc à ce propos une cause additionnelle des trépas multiples : à savoir la dysenterie, en plusieurs reprises incriminée déjà par les démographes dans les cas de « mégamort » [...] Citons à ce propos [...] un texte essentiel : « Cette année 1636 a été mémorable [dans la région de Lille] pour la grande mortalité et contagion qui a été très forte par tous les pays, villes et villages, ayant emporté une bonne partie des créatures [...] par fèbvres chaudesz, dissenteries [souligné par nous LRL] et autrement, le tout causé par la guerre, vray pépinière de tous maux. »

Ce texte, exactement contemporain de l'événement, est dû au « Nordiste » Jean de La Barre. Notons qu'il ne mentionne pas la peste, bien qu'elle ait sévi à Lille également cette année-là (d'après Biraben). Le sieur de La Barre signale de façon prédominante, comme cause de mort massive, « fièvres chaudes et dysenteries » présentées comme liées à la guerre. Cette « liaison » paraît vraisemblable, en effet. Mais cette dysenterie [...] est bel et bien corrélative, par ailleurs, de l'été puissamment calorifique de 1636, ce même été qui, point trop sec par ailleurs en juin-juillet-août, a produit de belles moissons génératrices de bas prix du grain... et de vins excellents.

Eaux de boisson polluées

Que la dysenterie soit liée, entre autres, aux étés chauds qui font baisser le niveau d'eau des rivières, les rendant d'autant plus polluées, sales, et qui par ailleurs font pulluler dans les eaux de boisson, d'où qu'elles viennent, les shigelles, colibacilles, salmonelles et autres micro-organismes dysentériques, c'est bien certain. [...] François Lebrun s'est « beaucoup intéressé » aux épidémies de dysenterie, outre 1636, celle de 1639, 1706 et 1707, enfin 1779. Le même auteur souligne à plusieurs reprises le lien entre ces épidémies bien particulières et tel épisode de forte chaleur estivale relayé ensuite par l'automatisme de la contagion interhumaine, dû au contact excrémentiel des mains sales, aux consommations d'eaux impures, etc.

Or il est remarquable que toutes les années dysentériques [...], allant facilement aux 400 000 décès supplémentaires, [...] ont des vendanges soit précoces, soit ultraprécoces, toutes situées en septembre, indicatives d'un été chaud ou ayant comporté à tout le moins un fort épisode chaud, susceptible de hâter la collecte du raisin... et de déclencher la terrible maladie diarrhéique en question, notamment les toxicoses des bébés, génitrices à l'époque d'une forte mortalité infantile. [...]

Le couple infernal que forment [...] la triste et mauvaise année-récolte de 1630-1631 et, d'autre part, en conséquence de l'été chaud 1636, l'année dysentérique (et pesteuse) et ultrameurtrière pourrait ressortir, en termes climatico-démographiques de ce qui serait un modèle « froid et chaud » ou « frais et chaud », doublement mortel, du fait de la combinaison bipolaire (à quelques années de distance) de fraîcheurs humides excessives, puis de chaleurs très au-dessus des moyennes normales.

On retrouvera un « duo » ou plutôt trio du même genre, mais avec des connotations beaucoup plus politiques et psychologiques cette fois, plutôt que démographiques, lors d'une « triplette » ultérieure, elle aussi dommageable, soit 1787-1788-1789, mêlant l'humide, le chaud-sec, la grêle et le glacial, le tout à des doses telles que la vie politique française, qui certes n'avait pas besoin de ça, en sera profondément affectée [...]

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