charles.muller Posté(e) 14 avril 2006 Partager Posté(e) 14 avril 2006 Dans une autre discussion (Mars 2006...), nous avons commencé à aborder la question des températures de la troposphère. Comme c'est un domaine important dans le débat climatique, et récurrent depuis quinze ans, je refais une synthèse ici. L'enjeu de ce débat est important. Les modèles actuels de circulation générale océan-atmosphère prévoient tous que la troposphère doit se réchauffer au moins aussi vite que la surface dans le cadre d'un réchauffement induit par les gaz à effets de serre bien répartis (well mixed greenhouse gases). Le différentiel doit même être un peu plus grand au niveau des tropiques, avec une tropopshère se réchauffant plus vite que la surface. Si le débat est aussi intense sur ce sujet, c'est que les mesures des températures troposphériques par satellite (depuis 1979) et par ballons radiosondes (depuis les années 1940) n'aboutissent pas à ce résultat attendu. On a beaucoup dit dans la presse en 2005 que le problème était enfin résolu, à la suite d'une correction apportée par l'équipe de Mears (RSS). Il n'en est rien, comme nous allons le voir. * C'est dans la troposphère (basse couche de l'atmosphère) que se déroule l'essentiel des phénomènes physiques déterminant les climats de la terre. Sa hauteur varie selon que l'on situe aux pôles (cellule polaire de 7 à 8 km d'épaisseur) ou aux tropiques (cellule de Hadley de 15 à 17 km d'épaisseur). La troposphère connaît un gradient de température et de pression décroissant (1013 hPa au sol, env. 200 hPa à la limite de la tropopause). Les variations importantes de température et de pression y engendrent la circulation atmosphérique global (courants-jets, anticyclones, dépressions, etc.). Voici un schéma : Les températures de la troposphère sont mesurées de deux manières : les radiosondes et les satellites (depuis 1979). Pour simplifier, nous nous limitons ici à la période [1979-2005] où l'on dispose de séries comparables pour chaque mode d'enregistrement. Nous arrondissons également au centième les valeurs. * Les bases de données issues des satellites sont gérées à titre principal par deux équipes : le RSS de Mears en Californie, l'UAH de Christy et Spencer en Alabama. Ces deux équipes n'utilisent pas tout à fait les mêmes équations pour corriger les données brutes (correction en fonction des décalages d'orbite des satellites et des biais de chaleur des matériaux). Les mesures qui nous intéressent ici proviennent de deux canaux : le canal TLT (basse troposphère) et le canal TMT (mid-troposphère). Les données sont les suivantes (°C / décennie entre 1979 et 2005) : TLT : 0,19°C (RSS) / 0,13°C (UAH) TMT : 0,14°C (RSS) / 0,05°C (UAH) Une partie des conflits d'interprétation provient de ce que les canaux MSU/AMSU des satellites sont contaminés a- à la hausse par des activités de surface pour la basse troposphère ; b- à la baisse par le contact avec la stratosphère pour la couche haute de la troposphère et la tropopause. (On sait que la stratosphère est censée se refroidir sous l'effet des GES, alors que la troposphère est censée se réchauffer.) D'où la création des canaux "artificiels" TLT et TMT qui permettent de pondérer les données en évitant les biais de hausse à la surface et les biais de baisse en altitude. (On notera au passage que les données satellite sont censées être plus fiables que les données de surface : c'est hélas faux). Selon le dernier rapport annuel de la NOAA (2005), la tendance 1979-2005 pour les températures de surface (TS) est de 0,18°C. On constate donc que : - les augmentations de TS (0,18) sont inférieures à celles de TLT (RSS) (0,19) - mais elles sont bien supérieures à TLT (UAH) (0,12), TMT (RSS) (0,14) et TMT (UAH) (0,05) Conclusion 1 : Si l'on examine le comportement thermique de la troposphère (et non uniquement celui de ses basses couches pour une seule série satellite), les données satellitaires ne corroborent pas les prévisions des modèles. * Concernant les ballons-sondes, il existe plusieurs bases et surtout analyses de ces bases (HdRT, Angell 54, LKS, RIHMI, UAH). Nous prenons la base Radiosonde Atmospheric Temperature Products for Assessing Climate (RATPAC-a), qui a l'intérêt de publier toutes ses données corrigées à cette adresse : ftp://ftp.ncdc.noaa.gov/pub/data/ratpac/r...nual-levels.txt Les données Ratpak sont dérivées des corrections LKS (Lanzante, Klein, Seidel). L'analyse de la couche 850-300 hPa est censée donner le comportement de la mid-troposphère, sans contamination par la surface ou la stratosphère (cf. schéma de la troposphère où l'on voit que la couche 300 s'arrête avant la tropopause et ne peut être touchée par le refroidissement de la stratosphère ; la couche 800 commence à environ 2000 mètres, on peut le calculer précisément par la loi de l'hydrostatique). C'est la raison pour laquelle NOAA 2005 repend cette couche dans son bilan du climat. L'analyse RATPAC-a sur 1979-2005 donne le résultat suivant : 0,14°C / décennie. (Nota : l'intégration de la couche supplémentaire surface-800 hPa ne change pas cette estimation, au centième près). Ce chiffre de 0,14 °C est conforme à l'estimation des satellites (plus proche du RSS pour la tendance globale et pour cette base ; mais ce ne sont pas tout à fait les mêmes couches qui sont mesurées, cf. Christy 2003 pour les intercalibrations spécifiques avec la base UAH). Il est de nouveau inférieur aux 0,18°C des températures de surface. Conclusion 2 : les données de ballons sondes en moyenne troposphère sont proches de celles des satellites. Elles non plus ne corroborent pas les modèles en trouvant un réchauffement moindre de la troposphère / surface. * Pour une analyse plus détaillée, mais sur la période 1979-2004, voici un graphe de synthèse des différents données selon les latitudes (sans moyenne globale). Outre RSS, UAH et Ratpak, on trouve aussi HadAT2 (autre série de ballons sondes). Les données de la troposphère sont au centre et à droite. Les températures de surface (courbes noires) sont nettement inférieures aux températures troposphériques en moyenne-haute tropo sur certaines latitudes (courbes orange au centre). Ailleurs, pour tous les moyens de mesure (sauf parfois RSS) et sur presque toutes les latitudes, les températures de la troposphère sont inférieures à celles de la surface. * Si les données rassemblées ici sont bien exactes - ce que je vous invite à vérifier -, il faut en conclure que le décalage entre les températures de surface et celles de la troposphère existe toujours en 2005, malgré différentes corrections. GIEC 2001 l'avait déjà noté. Si tel est le cas, on peut faire plusieurs hypothèses : - les mesures satellite + radiosonde sont très imparfaites et ont des marges d'erreur trop grandes (un niveau de confiance trop faible) pour être utilisées ; - les modèles actuels ne sont pas bien conçus, notamment pour ce qui est des mvts thermiques de l'atmosphère liés aux GES ; - les mesures de surface ne sont pas correctes et sont biaisées à la hausse (si les mesures radiosondes et satellites et les modèles sont, eux, exacts), par exemple par l'effet urbain dans l'enregistrement. *** Note à Météor : dans la précédente discussion, tu proposais soit de commencer plus tard, soit de prendre certaines couches de la troposphère (500 hPa par exemple). Pour les raisons énoncées ci-dessus, je ne pense pas que cela soit pertinent : a- il est plus simple et plus instructif de raisonner sur la toute longueur des séries disponibles (qui n'est déjà pas très longue par rapport aux 150 ans des températures de surface) ; b- la sélection d'une couche de la troposphère pour les ballons sondes fausse à mon avis les données au lieu de les préciser, puisque les analyses satellite TLT et TMT sont moyennées sur plusieurs couches. Mais tu peux faire des calculs sur une ou plusieurs couches si tu le souhaites. Par ailleurs, je n'ai pas repris le schéma NOAA 2005 de synthèse sur les satellites pour 1979-2005 (voir notre précédente discussion), car il comporte une étrangeté. Si tu le regardes, les valeurs données pour RSS (0,14) et UAH (0,12) ne correspondent pas à celles que l'on trouve sur les bases de données de ces deux organismes. Le 0,14°C (RSS) correspond à la rigueur au canal TMT. Mais dans cas, la valeur correcte pour UAH serait 0,05°C. Si le 0,12°C (UAH) est bon, la valeur correcte pour le RSS serait 0,19°C. (Je leur ai écrit pour avoir l'explication). Lien à poster Partager sur d’autres sites More sharing options...
charles.muller Posté(e) 14 avril 2006 Auteur Partager Posté(e) 14 avril 2006 Juste une confirmation concernant le site de la NOAA (voir dernière remarque de mon mesage précéent) : il semble qu'ils se sont trompés dans les mesures de leur graphique comparatif des satellites. Voici la réponse que m'a faite Jay Lawrimore : Charles, I think the trend on the UAH time series in our nid-troposphere graphic is incorrect. http://www.ncdc.noaa.gov/img/climate/resea.../msu2005-pg.gif . I believe it is ~0.05C/decade. We'll double check and correct. Thanks, Jay *** Ce qui nous fait pour la surface comparée à la mid-troposhère en tendance / décennie : 0,18 °C / 0,14 °C (RSS) / 0,05 °C (UAH) Lien à poster Partager sur d’autres sites More sharing options...
Alain Coustou Posté(e) 14 avril 2006 Partager Posté(e) 14 avril 2006 Juste une confirmation concernant le site de la NOAA (voir dernière remarque de mon mesage précéent) : il semble qu'ils se sont trompés dans les mesures de leur graphique comparatif des satellites. Voici la réponse que m'a faite Jay Lawrimore : Charles, I think the trend on the UAH time series in our nid-troposphere graphic is incorrect. http://www.ncdc.noaa.gov/img/climate/resea.../msu2005-pg.gif . I believe it is ~0.05C/decade. We'll double check and correct. Thanks, Jay *** Ce qui nous fait pour la surface comparée à la mid-troposhère en tendance / décennie : 0,18 °C / 0,14 °C (RSS) / 0,05 °C (UAH) Il est certain que le traîtement des données satellite doit être encore très amélioré. De même que les modèles qui les utilisent. J'avais fait des remarques similaires au sujet de l'établissement des cartes quotidiennes de la banquise par la NOAA et Cryosat. Il n'en reste pas moins que, le biais des mesures étant "systématique" (pour employer le jargon des statisticiens), les tendances d'évolution que montrent les courbes ne sont certainement pas remises en cause. Les mesures absolues sont légérement biaisées toujours dans le même sens, mais les variations relatives restent pratiquement fiables. Sauf bien sûr quand il leur arrive d'intégrer des calculs faux (cf les erreurs détectées par Charles Muller) ! Alain Lien à poster Partager sur d’autres sites More sharing options...
charles.muller Posté(e) 14 avril 2006 Auteur Partager Posté(e) 14 avril 2006 Comme tu le soulignes à juste titre, Alain, les outils sont perfectibles mais les données sont nénanmoins convergentes : sur l'ensemble de la troposphère, les deux bases radiosondes comme les deux séries satellites donnent des delat[T] inférieures à la surface. Cela plaide en faveur d'une différence réelle, de l'ordre de 0,4 (env. le quart de la variance). Au départ, je privilégiais l'hypothèse d'une erreur de mesure de surface liée au réchauffement urbain. Mais le dernier graphe (latitude) montre que les écarts sont similaires, voire plus élevés dans des zones pas spécialement peuplées (près des pôles par exemple). Un biais urbain important donnerait sans doute des écarts plus sensibles (surtout en basse troposphère). J'en conclus donc que l'assertion centrale des modèles en la matière (une tropo se réchauffant aussi vite ou plus vite que la surface) pourrait bien être ce qui pose problème. Cela converge d'ailleurs avec de récents bilans d'étape que j'ai lus (sur le forçage radiatif, sur la sensibilité climatique) où revenaient souvent des constats d'insuffisance sur la structure verticale de la circulation thermique et sur le poids exact des océans comme "heat stockage". Lien à poster Partager sur d’autres sites More sharing options...
Invité Posté(e) 15 avril 2006 Partager Posté(e) 15 avril 2006 Note à Météor : dans la précédente discussion, tu proposais soit de commencer plus tard, soit de prendre certaines couches de la troposphère (500 hPa par exemple). Pour les raisons énoncées ci-dessus, je ne pense pas que cela soit pertinent : a- il est plus simple et plus instructif de raisonner sur la toute longueur des séries disponibles (qui n'est déjà pas très longue par rapport aux 150 ans des températures de surface) ; b- la sélection d'une couche de la troposphère pour les ballons sondes fausse à mon avis les données au lieu de les préciser, puisque les analyses satellite TLT et TMT sont moyennées sur plusieurs couches. Mais tu peux faire des calculs sur une ou plusieurs couches si tu le souhaites. Par ailleurs, je n'ai pas repris le schéma NOAA 2005 de synthèse sur les satellites pour 1979-2005 (voir notre précédente discussion), car il comporte une étrangeté. Si tu le regardes, les valeurs données pour RSS (0,14) et UAH (0,12) ne correspondent pas à celles que l'on trouve sur les bases de données de ces deux organismes. Le 0,14°C (RSS) correspond à la rigueur au canal TMT. Mais dans cas, la valeur correcte pour UAH serait 0,05°C. Si le 0,12°C (UAH) est bon, la valeur correcte pour le RSS serait 0,19°C. (Je leur ai écrit pour avoir l'explication). Je n'avais pas encore lu tes posts. En tous cas, félicitations pour toutes ces recherches et notes pédagogiques très instructives. Le problème est bien posé, me semble t'il. Si j'ai utilisé la couche 400-500 hPa , c'est que j'avais le souvenir que c'était bien là que les modèles donnaient le delta maxi, mais je devais vérifier. Concernant les données UAH il y eu tellement de corrections que tout le monde s'y perd. Mais je suis un peu surpris des 0.05°C/décade car n'avais-tu pas eu une info différente, de vive voix, des gens de Christy? Il existe toujours un fossé entre ces deux séries de températures. Les données UAH indiquent que la troposphère se réchauffe plus lentement que la surface (0,13 contre 0,17 °C par décennie), mais cela peut s’inscrire dans la marge d’erreur (+/- 0,5°C par décennie). Ainsi, bien que la magnitude de la différence soit mesurable, nous ne pouvons lui attribuer un haut niveau de confiance. ou alors ce n'est pas le même problème? Lien à poster Partager sur d’autres sites More sharing options...
charles.muller Posté(e) 15 avril 2006 Auteur Partager Posté(e) 15 avril 2006 Concernant les données UAH il y eu tellement de corrections que tout le monde s'y perd. Mais je suis un peu surpris des 0.05°C/décade car n'avais-tu pas eu une info différente, de vive voix, des gens de Christy? ou alors ce n'est pas le même problème? Je vais aller vérifier (le serveur UAH était planté hier). Je pense que Christy se réfère ici au seul canal TLT. Les données UAH ont en effet connu une longue de série de corrections (et cela continue, cf. note de Spencer du 6 avril 2006 sur leur base). Cela tient à trois choses : - l'UAH entretient simultanément des séries de données ballons-sondes pour vérifier et calibrer ses données satellites ; - les mesures attendues concernent souvent des centièmes de degré, et toujours des dixièmes, ce qui est problématique avec la nature même des satellites (petites dérives orbitales, réchauffement des matériaux, usure des capteurs, etc.) - la base UAH est la première et la plus ancienne, et la RSS est par exemple née de certaines critiques méthodologiques (dont certaines fort justifiées d'ailleurs). Les deux dialoguent très bien et essaient maintenant de co-ajuster leur travaux. A chaque fois qu'une critique solide est émise (Fu 2004 par exemple), les deux bases refont tous leurs calculs pour vérifier sa pertinence et intégrer (ou non) l'ajustement suggéré. Lien à poster Partager sur d’autres sites More sharing options...
Invité Posté(e) 15 avril 2006 Partager Posté(e) 15 avril 2006 ce qui est problématique avec la nature même des satellites (petites dérives orbitales, réchauffement des matériaux, usure des capteurs, etc.) je suis bien d'accord, surtout qu'il me semble , qu'à l'origine, les capteurs des satellites n'étaient même pas faits pour çà.De plus, s'il est facile de vérifier, d'étalonner, de remplacer un capteur en surface ou même de changer le capteur d'un ballon sonde, c'est rigoureusement impossible à réaliser pour un satellite. Ceci doit relativiser profondément à mon sens les mesures satellitaires, et surtout leur historique. Lien à poster Partager sur d’autres sites More sharing options...
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