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Faut-il avoir peur des hydrates de méthane ?


charles.muller
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Messages recommandés

Comme je le disais dans une autre discussion, je profite du post récent d’Alain pour aborder directement l’hypothèse centrale de son modèle, à savoir une possible rétroaction positive de grande ampleur des hydrates de méthane au cours de ce siècle. Et même à l’horizon des trente prochaines années, avec un seuil situé dans les années 2020. Je synthétise ici mes lectures sur le sujet. Comme elles sont très partielles (mais j’espère pas trop partiales default_blink.png ), le débat permettra d’approfondir. Ce premier texte se concentre sur les hydrates de méthane du réservoir océanique, mais il est aussi pertinent dans sa partie paléoclimatique pour tous les réservoirs en situation de réchauffement. A l'occasion, je ferai une autre synthèse sur les hydrates du permafrost.

Les hydrates kesako ?

Un petit mot d’abord sur le sujet. Le méthane se forme par la décomposition de matière organique en milieu anaérobie (sans oxygène), dégradation qui est assurée par des bactéries (dites méthanogènes car elles expirent le gaz). Les hydrates de méthane, aussi appelés clathrates de méthane, sont des composés d’eau et de méthane, où le gaz est emprisonné dans les cristaux de la glace.

Les hydrates se forment dans les zones épargnées de l’oxygène de l’air, soit le sous-sol (permafrost) et les océans (talus continentaux, entre plateaux et fonds). La localisation des hydrates s’explique par les conditions précises de leur formation, qui demande certaines conditions de température et de pression. Et, bien sûr, la présence de bactéries. On considère le réservoir océanique comme beaucoup plus important que le réservoir terrestre (je me concentre donc sur le premier ici).

Il ne faut pas se représenter les hydrates de méthane océaniques comme d’immenses gisements compacts et localisés. Les forages et mesures entrepris par divers Etats et industries de l’énergie (intéressés par son exploitation potentielle) montrent que ces zones à fortes accumulation et concentration sont plutôt rares, et que les hydrates d’une zone donnée sont répartis en de multiples filets et nodules de faibles dimensions. Cette dispersion, tout comme la difficulté intrinsèque des mesures, explique que l’évaluation des réserves d’hydrates de méthane est pour le moment très spéculative. Les premières estimations des années 1970 faisait état de 3*1018 m3. Des données plus récentes (Milkov 2004) ramènent ce chiffre à 1-5* 10^15 m3. Dans ce dernier cas, cela ferait en équivalent carbone entre 500 et 2500 Gt C. C’est-à-dire 2 à 10 fois moins que toutes les ressources fossiles estimées (5000 Gt C). Mais quand même 2 à 10 fois plus que les seules réserves de gaz naturel (230 Gt C). Néanmoins, ces chiffres sont à prendre avec prudence, et c’est le premier problème des hydrates de méthane : on est encore dans le flou en ce qui concerne leur quantité et leur localisation exactes.

Hydrates et climat

Quel rapport entre les hydrates de méthane et le climat ? L’idée est assez simple : des variations de température (en cas de réchauffement par exemple) ou de pression (en cas de baisse ou hausse du niveau de la mer par exemple) peuvent déstabiliser les gisements océaniques d’hydrates de méthane, et entraîner leur dégazage, c’est-à-dire la libération des molécules de CH4 emprisonnées dans les glaces. On considère qu’1 m3 d’hydrate donne environ 160 m3 de gaz à pression atmosphérique de surface. Il est à noter que les gisements d’hydrate peuvent aussi être déstabilisés par d’autres facteurs, comme par exemple des secousses telluriques.

Dans le cas de figure d’un réchauffement, la déstabilisation des hydrates de méthane et le relargage du CH4 dans l’atmosphère pourrait donc agir comme une rétroaction positive. Son ampleur dépend bien sûr des quantités ainsi émises. Si tous les hydrates dégazaient d’un seul coup, cela serait énorme. Si quelques gisements locaux dégazent, cela pourrait passer inaperçu (pour donner un ordre de grandeur, rappelons par exemple que les émissions humaines annuelles de GES sont d’environ 6 Gt C, dans une atmopshère qui en comprend déjà 750 Gt ; et que le taux de CH4 atmosphérique a augmenté de 130% entre 1750 et 2000).

Cette hypothèse d’une déstabilisation des hydrates de méthane est-elle crédible ou plausible dans le cadre du RC actuel, et à quelle échéance ?

Pour répondre à cette question, on peut avoir deux approches. L’une, purement théorique, consiste à faire un modèle des hydrates de méthane en situation, à quantifier les conditions de leur déstabilisation (température, pression, profondeur), à voir quand et où ces conditions peuvent être atteintes en situation de réchauffement. L’autre, plutôt empirique, consiste à analyser les archives climatiques pour voir si les hydrates de méthane ont contribué à des précédents réchauffements.

Je me concentre ici sur la seconde approche, parce que je n’ai pas trouvé d’articles de synthèse sur des modèles d’hydrates (et aussi parce que je n’ai de toute façon pas de connaissances suffisantes pour me prononcer sur ces modèles). Il me semble que Pierre Ernest avait contacté un spécialiste de la question et commencé quelques calculs. Il pourra les reprendre ici.

Les hydrates au Quaternaire

Sur les paléoclimats, où en est-on ? Concernant le Quaternaire, James P. Kennett (2003) a popularisé au début des années 2000 l’hypothèse du « fusil à clathrate » (clathrate gun), dans un livre publié par l’AGU. Un numéro spécial de la revue American Mineralogist a également paru en 2004 à ce sujet. En substance, les hydrates de méthane se formeraient au cours des périodes glaciaires, puis dégazeraient en partie au cours des interglaciaires, sous l’effet des réchauffements induits par les cycles solaires Milankovitch. Kennett et ses co-auteurs s’appuient sur des micro-épisodes de réchauffement qui ne s’accordent pas selon eux aux données connues sur la circulation océanique ou les autres GES, et que l’on ne peut expliquer par la progression des tourbières en situation de RC (cause habituellement avancée pour la hausse du CH4 aux interglaciaires). Une étude détaillée sur la talus continental californien appuie cette hypothèse. La conséquence en est que si l’on se réchauffe au-delà des fourchettes habituelles des interglaciaires, on augmente le risque de dégazages plus masifs encore, selon une logique de « fuite en avant » (runaway greenhouse gases).

Il est à noter que le livre n’a pas été acueilli toujours favorablement par la critique scientifique. Dans une une recension sévère de Science, le géologue Gerald R. Dickens (lui-même spécialiste de la question) écrit : « The book reads closer to a manifesto than to traditional scientific fare. Given this style, the book's contents, and the esteem of the lead author and the publisher, Methane Hydrates in Quaternary Climate Change is arguably the most controversial Earth science book of the new millennium. » Un « manifeste controversé », donc, et surtout le reproche suivant :

« The authors provide no compelling evidence that methane released from the sea floor passed through the water column or that atmospheric methane initiated climate change. Until these major holes are plugged, their full hypothesis should rightfully be considered highly speculative. » Le point le plus intéressant est que le comportement du méthane dans la colonne d’eau (après dégazage) n’est toujours pas modélisé, de sorte que l’on ne sait pas la quantité qui se dissout dans l’eau et celle qui parvient réellement à l’atmosphère.

Outre ces critiques de l’époque, deux travaux récents ont analysé l’hypothèse de Kennett et de ses collègues sur le présent interglaciaires (et sur un autre épisode de réchauffement voici 38 Ka), et cela à partir de méthodes différentes (forage dans les tourbières pour Mac Donald 2006, analyse des isotopes deuterium/hydrogènes pour Sowers 2006). Leur conclusion est identique : on ne retrouve pas trace des hydrates de méthane.

Dans une autre discussion récente, nous avons parlé ici du précédent interglaciaire de l’Eemien (optimum thermique vers 128.000 ans). La zone arctique et péri-arctique, souvent présentée comme fragile pour les hydrates de ses talus continentaux, semblait à l’époque au moins 8°C plus chaude qu’aujourd’hui, avec un forçage régional solaire important (susceptible de réchauffer rapidement la colonne d’eau). Or, les mesures des forages glaciaires montrent que les taux de CH4 et CO2 sont restés à peu près similaires aux autres interglaciaires, et on estime que la Tm globale était 1 à 2 °C plus chaude quaujourd’hui, ce qui ne plaide pas en faveur d’un relargage importante et d’une « course en avant » massive.

Ces quelques éléments incitent à penser que le hydrates de méthane n’ont pas joué de rôle majeur au cours du Quaternaire, et que leur stabilité est meilleure que ne le supposent Kennet at al. Autant le dégazage de filons et gisements locaux les plus instables est une hypothèse probable, autant un dégazage massif et significatif pour le climat à courte échéance semble très incertain dans les archives récentes.

Périodes plus anciennes : P-T et PETM

En est-il de même pour des épisodes plus anciens ? Le rôle des hydrates de méthane a été mis en avant pour deux périodes : le maximum thermique Paléocène Eocène (PETM) et la crise Permien Triassique, voici respectivement 55 Ma et 250 Ma.

Ces périodes plus anciennes sont bien évidemment plus spéculatives, et l’hypothèse hydrate de méthane n’est plus la seule sur les rangs, non plus que que l’hypothèse réchauffement comme source de leur déstabilisation : météorite, volcanisme intense et tectonique des plaques figurent en bonne place, notamment pour l’extinction P-T (et aussi pour le PETM dans le cas du volcanisme). Certains auteurs comme P. Wignall ou M. Denton soutiennent l’hypothèse clatrates, mais il est assez difficile de faire la part des choses à ca stade.

Pour le PETM, G. Schmidt et D.T. Shindell ont développé un modèle assez précis afin d’analyser les différents scénarios en rapport avec les hydrates de méthane. Ils concluent à un relargage plausible de 1500 Gt étalé sur 500 à 20.000 ans, avec un pic de forçage radiatif compris entre 1,5 et 13,3 W/m2, la valeur la plus probable (la plus conforme aux autres proxies) étant de 3 W/m2. C’est beaucoup et très peu à la fois, puisque cela correspond aux forçages GES 1750-2000.

Ma conclusion de tout cela est assez « faible », ce qui est normal vu l’approche empirique choisie :

- il est peu probable que les hydrates de méthane aient joué un rôle important au cours des dernières centaines de milliers d’années ;

- il est peu probable qu’ils jouent un rôle majeur de rétroaction à brève échéance (2100), notamment dans la zone où le plus fort réchauffement est attendu (Arctique) ;

- il est probable qu’ils aient eu une influence sur le climat dans des périodes plus anciennes ;

- il est surtout nécessaire de développer des modèles des hydrates afin de connaître a- les effets exacts des dégazages entre la colonne d’eau et l’atmosphère et b- les conditions exactes de leur déstabilisation. Et de faire ensuite des scénarios projectifs crédibles selon les évolutions climatiques attendues.

La conclusion plus directe est que je ne suis pas d’accord avec le modèle d’Alain, en toute amitié bien sûr default_w00t.gif

Références

Dickens G.R. (2003), Science, 299, 1017

Kennett J.P. et al. (2003), Hydrates in Quaternary Climate Change, American Geophysical Union, Washington, DC.

MacDonald G.M. et al. (2006), Rapid early development of circumarctic peatlands and atmospheric CH4 and CO2 variations, Science, 314, 285 - 288.

Milkov, AV (2004). Global estimates of hydrate-bound gas in marine sediments: how much is really out there?. Earth-Sci Rev 66 (3-4): 183-197.

Schmidt, G.A., D.T. Shindell (2003), Atmospheric composition, radiative forcing, and climate change as a consequence of massive methane release from gas hydrates, Paleoceanography, 18, 1004, doi: 10.1029/2002PA000757, 2003

Sowers T. (2006), Late quaternary atmospheric CH4 isotope record suggests marine clathrates are stable, Science, 311, 838 – 840.

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Comme je le disais dans une autre discussion, je profite du post récent d’Alain pour aborder directement l’hypothèse centrale de son modèle, à savoir une possible rétroaction positive de grande ampleur des hydrates de méthane au cours de ce siècle. Et même à l’horizon des trente prochaines années, avec un seuil situé dans les années 2020. Je synthétise ici mes lectures sur le sujet. Comme elles sont très partielles (mais j’espère pas trop partiales default_smile.png/emoticons/smile@2x.png 2x" width="20" height="20"> ), le débat permettra d’approfondir. Ce premier texte se concentre sur les hydrates de méthane du réservoir océanique, mais il est aussi pertinent dans sa partie paléoclimatique pour tous les réservoirs en situation de réchauffement. A l'occasion, je ferai une autre synthèse sur les hydrates du permafrost.

Les hydrates kesako ?

Un petit mot d’abord sur le sujet. Le méthane se forme par la décomposition de matière organique en milieu anaérobie (sans oxygène), dégradation qui est assurée par des bactéries (dites méthanogènes car elles expirent le gaz). Les hydrates de méthane, aussi appelés clathrates de méthane, sont des composés d’eau et de méthane, où le gaz est emprisonné dans les cristaux de la glace.

Les hydrates se forment dans les zones épargnées de l’oxygène de l’air, soit le sous-sol (permafrost) et les océans (talus continentaux, entre plateaux et fonds). La localisation des hydrates s’explique par les conditions précises de leur formation, qui demande certaines conditions de température et de pression. Et, bien sûr, la présence de bactéries. On considère le réservoir océanique comme beaucoup plus important que le réservoir terrestre (je me concentre donc sur le premier ici).

Je n'ai pas encore eu le temps de lire le long post de Charles (je viens tout juste de rentrer de la Fac), mais j'ai tiqué sur les premiers paragraphes.

Les hydrates de méthane (clathrates) nécessitent, pour se former, des conditions très contraignantes de température et de pression. Dans le permafrost, il est relativement rare que ces conditions soient réunies. On peut bien sûr trouver du méthane piégé sous le sol gelé, mais il ne s'agit généralement pas à proprement parler de clathrates (sauf en profondeur dans les zones où le permafrost est le plus épais).

C'est surtout la reprise de la fermentation bactérienne qui est la source potentielle de grandes quantités de méthane en cas de dégel du permafrost sur une profondeur suffisante, ainsi qu'on a pu le constater depuis quelques années en Sibérie et en Alaska. Les sols ainsi dégelés se comportent alors le plus souvent comme des tourbières et des marécages. Même les étangs et lacs provisoires alimentés par les eaux de fonte deviennent alors eux-même source de méthane par la décomposition des particules organiques en milieu humide...

Quand aux hydrates de CH4 des contreforts des plateaux continentaux, je reviendrai dessus pendant le week-end, après avoir pris le temps de lire la suite du post de Charles.

En tout cas je suis d'accord pour considérer ce "réservoir" comme "beaucoup plus important que le réservoir terrestre", même si certaines estimations peuvent amener à revoir à la baisse le volume du dit réservoir. Ce qui ne me géne pas beaucoup, étant donné que j'avais moi-même retenu par prudence l'hypothèse jusque là considérée comme minimale parmis les diverses estimations des spécialistes.

Alain

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Les hydrates sont également présents sous le permafrost, pour les mêmes raisons d'ailleurs que dans les océans (pas d'oxygène, des bactéries, de bonnes conditions de pression et de température). Tu trouves par exemple des infos sur cette page des ressources naturelles du Canada :

http://gsc.nrcan.gc.ca/permafrost/arcticgas_e.php

Il semble d'ailleurs qu'un gisement sibérien a été exploité à Messoyakh, dès l'époque soviétique, quoique l'origine hydrate du CH4 en question ait été parfois discutée. Les Japonais, connus pour leur manque de ressources et leur crainte de la dépendance énergétique, y ont pas mal travaillé :

http://www.aist.go.jp/GSJ/dMG/dMGold/hydrate/Intro.html

Quant aux estimations du réservoir terrestre, je pense qu'elles sont faibles par rapport au réservoir océanique, mais je n'ai à vrai dire trouvé aucune source sur un ordre de grandeur.

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Quelques précisions supplémentaires.

J'ai rappelé plus haut que les chercheurs se penchent sur l'hypothèse hydrate de méthane pour des périodes assez éloignées de la nôtre, notamment le PETM qui représente le meilleur cas de figure pour un réchauffement brusque à base de dégazage hydrates.

Or, quelques données rappellent à quelles conditions les hydrates de méthane ont pu se déstabiliser à cette époque. Les travaux sur les istopes 018 et le ratio Mg/Ca des foramnifères indiquent que les températures des océans profonds en régions tropicales et subtropicales étaient plus chaudes de 5 à 6°C par rapport à l'époque actuelle. On a relevé des températures de fonds océaniques (aujourd'hui à 3-4 °C) de 12-13°C dans l'Atlantique, 14-16°C dans le Pacifique et même 17-21°C dans l'actuel Océan arctique.

On comprend que nous sommes aujourd'hui assez loin d'un tel réchauffement des fonds océaniques, même en cas de forte amplification sur l'Arctique. Et donc que le précédent du PETM ne peut être sérieusement invoqué pour une comparaison avec notre époque - du moins à l'échelle des quelques siècles et sans doute millénaires à venir (sauf si notre modélisation de l'océan se trompe complètement, mais dans ce cas toutes les prévisions sont à revoir).

Référence

Tripati A., H. Elderfield, Deep-Sea Temperature and Circulation Changes at the Paleocene-Eocene Thermal Maximum, Science, 308, 1894-98

*

A ceux que cela intéresse d'approfondir, je signale aussi ce papier intéressant de Dickens, où l'auteur dresse l'embryon d'un cycle des hydrates intégré au cycle du carbone, non seulement pour les épisodes brutaux du type PETM, mais aussi pour les périodes "normales" à flux lents entre l'océan et l'atmosphère.

G.R. Dickens, Rethinking the global carbon cycle with a large, dynamic and microbially mediated gas hydrate capacitor, Earth Plan. Sci. Lett., 213, 3, 169-183

Dispo ici (pdf, anglais) :

http://terra.rice.edu/department/faculty/j...nsEPSLFront.pdf

*

Enfin, à titre anecdotique, je signale la page de mon cher confrère Jancovici, d'ailleurs très bien faite pour les explications sur les hydrates de méthane. On appréciera surtout dans les tout derniers paragraphes la manière dont il informe de manière précise ses lecteurs sur les tenants et aboutissants de la question dans le domaine climatique. C'est assez révélateur de sa méthode : rien n'est formellement faux, beaucoup est simplement suggéré... et l'on peut se gratter pour avoir des références précises sur les recherches en cours, surtout lorsque ces références ont des conclusions contradictoires (ou rassurantes).

http://www.manicore.com/documentation/serre/hydrates.html

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Bien sûr, je saute sur la réponse à ce post, très bien documenté.

Je commenterai ici surtout :

1) l'origine des hydrates de méthane

2) le comportement du méthane dans la colonne d'eau.

Je commencerai par le 2) qui peut servir à éclairer le 1).

Il y a 2 écoles très distinctes en ce qui concerne le méthane et l'eau de mer.

- l'école "classique" à laquelle appartiennent la plupart des scientifiques et océanographes

- l'école "pétrolière" dont je fais partie (en raison, surtout de mon passé professionnel).

Pour les classiques, le méthane se dissout très peu dans la mer. (la preuve, les prélèvements à toutes les profondeurs n'en trouvent jamais beaucoup).

Pour les pétroliers, en revanche, le méthane est très soluble dans l'eau de mer, pour peu qu'on augmente la pression. Mais, les prélèvement effectués par les océanographes sont faits au moyen d'un système dit "rosette" dont l'ouverture est télécommandée depuis la surface, et qui s'ouvrent à la profondeur du prélèvement.

Malheureusement, les bouteilles de prélèvement (en inox) comportent un système de fermeture qui ne résiste mal à la pression. Conclusion : si le méthane dégaze au moment de la remontée, par l'effet de la modification de pression, et compte tenu de sa très faible quantité relative, on ne retrouve plus rien à la surface.

Et même si la bouteille une fois ramenée à la surface est restée à la pression du fond, le méthane s'échappe au moment du transfert pour analyse. (C'est ce que les pétroliers, accoutumés aux fortes pressions, disent). Conclusion : la rosette n'est pas adaptée aux analyses de méthane dissout.

La seule technique d'analyse valable semble être l'analyse in situ, par exemple par spectre Raman. Cette technique a été développée au voisinage des panaches de méthane qui s'échappent des gisements d'hydrates, et a effectivement montré la présence de fortes concentrations en méthane. A ma connaissance, elle n'a pas été utilisée dans les fonds où on ne s'attend pas à trouver de méthane.

David Archer, que j'ai interrogé à ce sujet, est resté très vague, en répondant "qu'il y avait des analyses".

La solubilité du méthane dans l'eau de mer a été étudiée (Geochem) intensivement récemment. Elle est représentée par la courbe ci-dessous :

Methane-Mer.jpg

Pour fixer les idées, la solubilité du méthane à 1000 bars de pression (9 000 m de profondeur environ) est, comme indiquée sur le graphe, de 0,2877 mole/kg, soit environ 6,4 litres (conditions normales) ou encore 4,6 g. (A noter que dans les conditions locales, le volume gazeux de méthane correspondant à la solubilité dans 1 kg d'eau de mer n'est plus que de 6,4 cm3).

La conclusion des pétroliers en général, corroborée fortement par l'étude de solubilité ci-dessus, est que le méthane s'échappant de la couche sédimentaire du fond de mer se dissout très probablement rapidement dans l'eau, et n'arrive pas en surface.

Evidemment, de grandes quantités de méthane s'échappant soudainement de le couche sédimentaire peuvent arriver à la surface. On l'observe au voisinage des zones sous marines productrices de méthane. Mais c'est un phénomène local et limité.

La grande solubilité (relative) du méthane dans l'eau de mer, conduit à la réflexion suivante : si du méthane atmosphérique se dissous dans la mer (il y en a, d'après la loi de Raoult qui n'est remise en cause par personne à ma connaissance) et que ce méthane arrive par circulation normale à une certaine profondeur, en-dessous d'une certaine température et au-dessus d'une certaine concentration, mais aussi en-dessous d'une certaine pression, il peut précipiter à l'état d'hydrate.

Simultanément, dans la plupart des cas, compte-tenu de la densité de l'hydrate (inférieure à celle de l'eau de mer), celui-ci va remonter vers la surface et trouver des conditions d'instabilité qui vont le faire repasser à l'état gazeux ou dissout. Compte-tenu des dimensions probables de ce précipité, je pense que c'est l'état dissous qui doit prévaloir).

Il y a cependant des cas où la remontée n'est pas possible : c'est le cas où la précipitation s'effectue dans un milieux sédimentaire où la dimension des grains de sédiment est proche de la dimension des grains d'hydrate. Dans ces conditions, l'hydrate peut rester en place, physiquement empêché de remonter à cause des sédiments.

Les conditions de stabilité de l'hydrate sont les suivantes :

- température : au-dessous d'un seuil dépendant de la pression (5,4 °C à 50 bars, par exemple)

- concentration du méthane dans l'eau de mer (au-dessus d'un certain seuil définit par la courbe de stabilité (voir ci-dessous))

- pression : au-dessous d'un seuil critique (environ 29,5 bars à 0°C)

Le graphe ci-dessous, tiré lui aussi de Geochem définit les conditions de stabilité de l'hydrate à 0°C

Hydrate-de-methane.jpg

(A noter que, contrairement à une idée répandue l'hydrate de méthane peut très bien exister à des températures relativement élevées (20 - 30 °C), pourvu qu'il soit maintenu à la pression convenable ; par exemple 30°C à 926 bars).

Les gisements d'hydrate de méthane connus sont situés sur les talus continentaux, ou dans les zones de faible profondeur relative (300 à 1000 m). Cette localisation a poussé les océanographes à expliquer la formation de l'hydrate par la précipitation du méthane d'origine bactérienne, à son arrivée (par le fond) dans les zones sédimentaires où étaient réunies les conditions requises de température, de pression, de concentration dans l'eau de mer, et surtout de présence de grains de sédiments de dimensions voisines de celles des grains d'hydrate.

Une autre explication pourrait être l'arrivée du méthane par le haut, sous forme dissoute dans l'eau de mer. Les résultats expérimentaux montrent en effet que la formation d'hydrate est loin d'être instantanée, le précurseur (gaz ou solution dans l'eau) pouvant rester en situation de sursaturation pendant très longtemps.

Reste à expliquer l'origine du méthane.

L'arrivée par le bas (origine benthique) est, certes, attrayante.

Néanmoins, l'arrivée par le haut (méthane d'origine atmosphérique) n'est pas incompatible avec la composition isotopique du carbone, elle-même sujette à des variations assez inexpliquées.

L'arrivée par le haut serait d'avantage en accord avec les variations parallèles de taux atmosphérique et de température, presque systématiques dans les échantillons glaciaires, et dont, il faut bien le dire, l'explication biologique terrestre ne tient pas trop (à mon sens) la route.

Selon cette théorie, la présence d'hydrates de méthane sur les talus continentaux serait simplement due à la précipitation lente, à très long terme, de méthane sous la forme d'hydrate : assez profondément pour atteindre la pression de stabilité de l'hydrate , et pas trop profondément pour ne pas dépasser la zone où le méthane ne précipite plus à cause de sa trop forte solubilité. Mais, celà n'est qu'une théorie...

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Quelques précisions au sujet des relations température / taux de méthane atmosphérique.

J'ai essayé, dans mon post précédent, d'être très synthétique, et finalement, le synthétique peut conduire à devenir obscur...

Je pense que le taux de méthane atmosphérique peut être conditionné par la dissolution du méthane dans l'eau de mer, elle-même dépendant de la température de surface.

Concentrons-nous en effet sur les chiffres :

La teneur en méthane de l'atmosphère est très faible (moins de 2 ppm).A ce niveau, la dissolution par l'eau de mer est encore beaucoup plus faible.

Par contre, aussitôt qu'on descend dans la mer au dessous de la surface, la solubilité du méthane devient rapidement beaucoup plus forte (voir post précédent). Or, la loi d'échange avec l'atmosphère (loi de Raoult) ne s'applique que dans la couche maritime supérieure mélangée. Il est évident qu'en dessous de cette couche, seule la solubilité "absolue" du méthane compte, les molécules de méthane situées à 1000 m de profondeur "ignorent" ce qu'il se passe dans l'atmosphère. Dans ces conditions, il semble logique que le méthane migre naturellement vers le fond, où la solubilité est plus grande (loi de Fick).

L'océan représenterait donc un gigantesque réservoir de méthane, les concentrations restant cependant faibles, compte tenu des chiffres de départ.

Une partie est cependant en permanence dégazée vers l'atmosphère par suite du phénomène d'upwelling ("dégazée" plutôt que "relarguée" ce dernier terme s'appliquant plutôt aux solides ou aux liquides).

Une autre partie peut se trouver "gelée" sous forme d'hydrate, sur les talus continentaux.

Enfin, la surface de l'océan est en permanence le siège d'un échange de méthane avec l'atmosphère, échange régit par la température de surface.

Tout ce système pourrait constituer un réservoir à méthane qui relâcherait ou absorberait du méthane atmosphérique, en fonction de la température...

Restant sur le méthane, mais, dans un autre domaine, il semble que les évaluations de réserves faites sur la foi de "log" aient été énormément surévaluées. On a mal identifié "l'écho" représentant l'hydrate, et aujourd'hui, les pétroliers s'accordent pour dire que ces gisements sont faibles, et non expoitables. Les japonais, qui avaient détecté des hydrates sur leur propre talus continental, et fondé de gros espoir sur ces gisements ont abandonné l'exploration pour aller la faire ... au Canada.

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Merci de ces précisions, je reviendrai sans doute sur certains points.

Sur l'origine du méthane océanique, je suis a priori moins sceptique que toi sur l'hypothèse bactérienne, dans la mesure où leur existence (à ces bactéries méthanogènes) est bien documentée à divers étages océaniques et que les produits de décomposition abondent dans l'océan aussi. Par exemple Marchesi et al. sur l'identification des phyla concernés.

Sinon, il me semblait que l'analyse des isotopes 12, 13 et 14 du carbone est utilisée (dans l'examen de fossiles ou sédiments) pour déterminer l'origine océanique ou non du méthane. Cette méthode donnerait-elle les mêmes résultats dans ton hypothèse de "précipitation" (ie le méthane précipité ou le méthane produit in situ auraient-ils les mêmes signatures) ?

Marchesi Julian R. et al. (2001), Methanogen and bacterial diversity and distribution in deep gas hydrate sediments from the Cascadia Margin as revealed by 16S rRNA molecular analysis, FEMS microbiology ecology, 34, 3, pp. 221-228

Abstract - The microbial community of a deep (to 234 m below the sea floor) sediment gas hydrate deposit (Cascadia Margin Ocean Drilling Program Site 889/890, Leg 146) was analysed for the first time by molecular genetic techniques. Both bacterial and methanogen diversity were determined by phylogenetic analysis of ribosomal DNA sequences. High molecular mass DNA, indicative of active bacteria, was present in all of the samples. Ribosomal RNA genes were amplified from extracted DNA extracted from sediment using bacteria, and methanogen specific PCR primers, the latter designed in this study. Phylogenetic analysis of approximately 400 bacterial clones demonstrated that 96% were members of the Proteobacteria. These clones were affiliated with the a, β and γ subdivisions, with Caulobacter (Zymomonas group), Ralstonia and Pseudomonas phylotypes predominating. The methanogen clones were of low diversity and clustered in three sub-groups. Two of these sub-groups (contained 96% of the 400 clones) were closely related to Methanosarcina mazeii, while the third sub-group clustered in the Methanobacteriales. This analysis of a deep sediment gas hydrate environment shows a bacteria and methanogen community of limited diversity and confirms that the gas hydrate zone is biogeochemically active. These results are consistent with the presence of bacterial populations capable of methanogenesis throughout the core, and suggest that the methane hydrate at this site is at least partially biogenic in origin.

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Merci de ces précisions, je reviendrai sans doute sur certains points.

Sur l'origine du méthane océanique, je suis a priori moins sceptique que toi sur l'hypothèse bactérienne, dans la mesure où leur existence (à ces bactéries méthanogène) est bien documentée à divers étages océaniques et que les produits de décomposition abondent dans l'océan aussi. Par exemple Marchesi et al. sur l'identification des phyla concernés.

Sinon, il me semblait que l'analyse des isotopes 12, 13 et 14 du carbone sont utilisés (dans les analyses de fossiles ou sédiments) pour déterminer l'origine océanique ou non du méthane. Cette méthode donnerait-elle les mêmes résultats dans ton hypothèse de "précipitation" (ie le méthane précipité ou le méthane produit in situ auraient-ils les mêmes signatures) ?

Je crois () que l'analyse isotopique permet de distinguer l'origine bactérienne ou fossile du méthane. Mais si le méthane atmosphérique est lui-même d'origine bactérienne (marais), rien ne permet de distinguer (à ma connaissance) si le méthane retrouvé dans les sédiments marins est d'origine terrestre (marais) ou benthique.D'autre part, les quelques analyses isotopiques concernant le méthane marin que j'ai vues m'ont paru assez dispersées.

Je ne nie évidemment pas l'origine benthique de certains gisements, mais je suis sceptique quant à la généralisation...

Cela dit, tu mets exactement le doigt sur la faiblesse de mon hypothèse...

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Pour info, cette brève de FS : il semble que l'on trouve des hydrates à des profondeurs asses faibles (60-100 mères) par rapport aux prédictions des modèles actuels température-pression, d'après une analyse récente autour de l'île de Vancouver par l'équipe de Michael Riedel.

http://www.futura-sciences.com/news-methan...ement_10110.php

L'info d'origine dans Nature (reportage sur le meeting AGU 2006) :

http://www.nature.com/news/2006/061211/full/061211-6.html

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Pour info, cette brève de FS : il semble que l'on trouve des hydrates à des profondeurs asses faibles (60-100 mères) par rapport aux prédictions des modèles actuels température-pression, d'après une analyse récente autour de l'île de Vancouver par l'équipe de Michael Riedel.

Interessant mais seulement à moitié surprenant. Il est très probable que les hydrates de méthane se forment en permanence. Ceux-là sont donc relativement récents. En effet, voici 20 000 ans, le niveau de la mer était 120 m plus bas qu'actuellement et ces gisements se seraient retrouvés, sinon à l'air libre, du moins recouverts d'une couche de sédiments trop faible pour obtenir un pression suffisante pour leur conservation à l'état de clathrates.Alain
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