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Relation ENSO et climat européen


TreizeVents
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J'ouvre ce topic pour présenter plus spécifiquement les effets des épisodes d'El Niño (et la Niña) sur le climat européen. Il y a déjà un sujet spécifique à l'ENSO dans le forum de prévisions saisonnières, mais il me parait plus spécifiquement dédié aux prévisions / observations et y parler en plus des effets de ces épisodes sur le temps sensible chez nous risquerait de faire dévier les débats et de diluer l'information au milieu de simples messages de suivi. Il y a déjà eu un sujet sur cette question de la relation entre les épisodes Niño/Niña sur notre climat européen en 2007, sujet désormais fermé mais vous pouvez encore le consulter ici. Je n'ai pas pris le temps de le (re) lire, donc je ne sais pas si les points de vue qui y sont exposés reprennent les éléments que je vais évoquer ici, encore qu'ils ne pourront pas tous l'être puisque je vais aussi vous parler d'études scientifiques parues postérieurement à ce topic.

 

Tout d'abord, une remarque d'ordre général : parler de l'ENSO et du climat européen, c'est accepter avant toutes choses de comprendre que l'on parle de relations plus ou moins distantes. Cela ne veut pas dire que ces relations n'existent pas, mais seulement qu'elles sont bien plus floues que de simples relations binaires du type El Niño = davantage de précipitations à Châteauroux ou à Gourdon. Il n'y a donc ici que des perspectives, des grandes idées générales, mais inutile de penser que vous pourrez appliquer ces grandes idées avec les relevés de votre station météo au fond de votre jardin avec d'excellents niveaux de corrélation .

 

Autre remarque : je ne vais pas prétendre que la présentation que je vais vous faire ici soit rigoureusement juste sur tous les points du sujet : je suis un amateur comme la grande majorité d'entre vous, certes passionné par le sujet et la littérature scientifique, mais je n'irais pas me prétendre comme étant un vrai expert du domaine. Même si je pense avoir saisi l'essentiel des raisonnements et des mécanismes à l'oeuvre, il se peut que ma présentation puisse comporter certaines approximations, soit parce que j'ai essayé aussi de rendre le sujet accessible à tous quitte à passer sur certaines considérations trop techniques, soit tout simplement parce que c'est moi qui n'ait pas forcément tout saisi de ce point technique.

 

Ce petit point préalable étant fait, nous allons passer aux quatre études que j'ai choisi de vous présenter. Ma présentation sera assez sommaire, limitée aux idées principales et aux synthèses de ces différents articles, mais vous pourrez toujours pour ceux qui sont intéressés aller plus loin en vous référant directement aux originaux de ces études.

 

Quand on parle de la relation entre le climat européen et l'ENSO, l'étude de référence, véritable base pour son caractère pionnier dans le sujet, c'est l'étude de Fraedrich de 1993 (le pdf peut être un peu long à charger mais le lien fonctionne bien). Encore qu'il n'y a pas que cette étude qui pourrait être citée, car Fraedrich a réalisé de nombreux travaux sur ce sujet, mais c'est probablement sont étude la plus citée et reprise par la suite pour son caractère bien plus abouti que les précédentes. Le grand point central de cette étude de Fraedrich, c'est la réponse du storm track (littéralement, la trajectoire des dépressions / tempêtes) sur l'Atlantique en hiver en fonction de l'ENSO : ce storm track aurait tendance à s'établir plus au nord que d'habitude et à s'affaiblir du fait d'un gradien plus faible entre les basses et hautes latitudes, alors qu'il aurait à l'inverse tendance à être plus marqué et plus méridional durant les hivers marqués par des épisodes Niña.

 

La conséquence centrale remarquée par Friendrich, c'est que durant les hivers marqués par des épisodes Niño, l'Europe occidentale et centrale semble plus régulièrement soumise à des conditions anticycloniques : les dépressions atlantiques circulant plus au nord, on observe sur le vieux continent des anomalies positives de pression (+ d'anticyclones), des anomalies négatives de température (+ d'inversions voire de retours d'est), et des anomalies négatives de précipitations (conséquence logique) sauf près de la Méditerranée. A l'inverse, les années Niña semblent marquées par une plus forte circulation océanique sur l'Europe occidentale et centrale : les pressions sont donc plus souvent dépressionnaires, les températures plus douce et la pluviométrie plus marquée sauf la encore près de la Méditerranée.

 

Depuis, cette étude de référence de Fraedrich a servi de socle pour de nombreuses recherches qui sont venues préciser et compléter la nature des relations entre l'ENSO et le climat européen, certaines de ces études étant d'ailleurs très récentes.

Une étude à mon avis très importante sur ce thème des relations ENSO / climat européen, car elle a indéniablement apporté de nouvelles perspectives en approfondissant les premiers éléments relevés par Fraedrich, s'intitule "l'impact de l'ENSO sur les régimes de temps en Europe et dans l'Atlantique Nord durant l'hiver boréal". Cette étude date de 2003, et elle a été menée par deux chercheurs français que certains d'entre vous doivent connaître : Vincent Moron et Guy Plaut (dont je profite de l'occasion pour saluer les bulletins qu'il réalise presque quotidiennement sur cette page ; "la météo autrement" c'est indéniable et pour ceux qui ne connaissent pas c'est vraiment une page qui mérite d'être suivie, j'ai appris beaucoup de choses ici). Pour l'article en question, il est disponible intégralement en version gratuite, alors autant en profiter : c'est ici (le pdf peut être un peu long à charger).

 

Le grand apport de cette étude par rapport aux travaux de Fraedrich, c'est dans la distinction entre l'automne / début d'hiver et la fin / d'hiver et le printemps. Fraedrich avait travaillé sur l'hiver au sens large, mais ce que Vincent Moron et Guy Plaut ont mis en relief dans leur étude c'est qu'il y a surtout une action asymétrique de l'ENSO selon l'état d'avancement de la saison. En se basant sur 119 années de données, et en travaillant avec les grandes classifications des régimes de temps, il ont ainsi constaté que les périodes hivernales coïncidant avec des épisodes d'El Niño étaient corrélées à une hausse significative des régimes zonaux (ZO, vents d'ouest humides et doux) et peu de blocages en novembre et décembre, alors que durant les épisodes Niña on observe la situation inverse : davantage de blocage et moins de conditions zonales. Les conditions s'inversent ensuite entre janvier et mars : durant les années Niño on observe une hausse significative des régimes de blocage (Anticyclone groenlandais et NAO-) sur cette période et une diminution tout aussi significative des conditions zonales, alors que les années Niña sont marquées par le phénomène inverse : les blocages plus nombreux du début d'hiver laissent la place à des conditions zonales plus fréquentes à compter de janvier.

 

Pour mettre quelques images dans la démonstration, voici les 5 grands régimes de temps pris en considération dans l'étude :

 

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Et voici les anomalies d'apparition de ces cinq grands régimes mois par mois de novembre à mars selon les années El Niño (étoile) et les années Niña (rond) :

 

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Une valeur positive signifie que ce type de régime est davantage observé pour le mois donné durant les années Niño ou Niña, et une valeur négative qu'il est au contraire plus rare. Par exemple pour les régimes ZO (dernière figure), on voit qu'ils sont bien plus fréquents en novembre et décembre durant les années Niño (*) et à l'inverse bien moins fréquents durant les années Niña (o), et que la situation s'inverse brutalement sur les trois mois suivants (janvier, février, mars).

 

Pour rappel, dans son étude Fraedrich avait considéré l'hiver dans son ensemble climatologique (décembre, janvier, février), ce qui avait eu pour conséquence de diluer quelque peu ses résultats vu que les mois de décembre contrebalancent les tendances des mois de janvier et février. Mais si on ne considère que ces deux derniers mois, le résultat est concordant avec le postulat de départ, et il n'est pas désuet de penser que si Fraedrich n'avait pas inclus les mois de décembre dans ses travaux, il aurait possiblement obtenu des résultats bien plus convaincants.

 

On a donc fait un grand pas en avant avec l'étude de 2003 que l'on vient de voir, et désormais on va enfoncer le clou avec cette étude de 2006 dont le titre est évocateur : l'influence de l'ENSO en Europe durant les derniers siècles. L'apport principal de cette étude, ce n'est pas forcément de nouveaux éléments, mais un renforcement des éléments déjà remarqués dans les travaux précédents. Tout simplement parce que dans les études précédentes les chercheurs avaient travaillé sur un peu plus d'un siècle de données : cela parait beaucoup, mais en terme d'échantillon cela reste mathématiquement faible surtout quand on doit diviser ledit échantillon selon le type d'année (Niño, Niña, neutre). Cette étude de 2006, elle a conforté les résultats présentés précédemment, tout simplement en faisant le même constat mais cette fois-ci sur pas moins de cinq siècles de données. L'étude elle-même est payante et n'est pas en libre accès, je vais donc me limiter à vous en traduire le résumé public :

 

Citation
L'ENSO affecte le climat pas seulement dans la région du Pacifique et dans les tropiques, mais également dans la région Europe / Nord Atlantique. Des études basées sur deux siècles de données ont démontré que les épisodes d'El Niño tendent à être accompagnés, en seconde partie d'hiver, par un indice NAO (Oscillation Nord Atlantique) négatif, par des températures basses dans le nord-est de l'Europe et par des modifications des schémas de précipitations. Cela étant, beaucoup de questions restent sans réponse, par exemple concernant la pérennité de cette relation. Ici, nous avons étudié les relations entre l'ENSO et le climat européen durant les 5 derniers siècles à partir des reconstructions statistiques du signal de l'ENSO, les anciennes séries de mesures européennes, et des reconstructions des champs de température, de pression, de précipitations et des géopotentiels. Après avoir retiré les années impactées par des éruptions volcaniques, nous avons trouvé un signal statistiquement significatif de l'ENSO sur le climat européen en fin d'hiver et au printemps. Les réponses du climat aux épisodes Niño et Niña sont presque asymétriques (= opposées). Comme dans les études qui n'utilisaient que 200 ans de données, on trouve un signal de l'ENSO différent sur les précipitations entre l'automne et la fin de l'hiver. [...]

 

On va encore avancer dans le temps, pour arriver en 2007 avec une étude modestement intitulée "l'impact de l'ENSO sur le climat européen". Dans cette étude, Brönnimann a non seulement réalisé une extraordinaire synthèse de tous les mécanismes liant l'ENSO au climat européen, mais il s'est également attaché à étudier tous les autres facteurs susceptibles d'intervenir et d'amplifier ou au contraire de masquer cette relation. En intégrant notamment le rôle de la stratosphère, de l'oscillation quasi-biennale (QBO), ou encore des réactions de l'atmosphère dans le cas des "super épisodes" Niño ou Niña (qui est parfois très différente de sa réaction aux épisodes d'intensité normale ou du moins habituelle), il a ainsi démontré que cette relation entre l'ENSO et le climat européen était aussi dépendante d'autres facteurs, expliquant de fait pourquoi les relations entre les deux n'étaient pas toujours claires. Je ne saurais résumer en quelques lignes l'apport de ce travail qui est intégralement disponible ici, et je pense que je vais plutôt me limiter à deux figures très parlantes.

 

La première, c'est le schéma simplifié de tous les mécanismes étudiés par Brönnimann, et qui est je pense très révélatrice de la profondeur de son étude :

 

 

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Et si vous vous en êtes sortis sans une grosse migraine, voici le récapitulatif d'ensemble par trimestre qui fait une très bonne conclusion à ce post :

 

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Au passage, j'en profite pour vous faire remarquer la manière dont la recherche s'articule : nous sommes partis des travaux de Fraedrich qui a été l'un des véritables premiers pionniers de l'étude des relations entre l'ENSO et le climat européen, et nous avons vu comment ces travaux ont ensuite été complétés, renforcés, pas à pas, nouvelle étude par nouvelle étude. Beaucoup de gens ont souvent l'impression que les scientifiques vivent dans des sortes de vases clos, menant des recherches plus ou moins secrètes, profitant d'ailleurs d'un certain climat de défiance dans l'opinion à l'égard de ces recherches et de ceux qui y participent - quand ne sont pas nourries carrément des théories du complot.

 

Ici, vous avez eu une autre vision de la science : des gens qui cherchent, qui avancent, qui font des ébauches d'une première piste, jusqu'à ce que d'autres chercheurs viennent prendre le flambeau pour aussi apporter leur pierre à l'édifice au regard de connaissances nouvelles, et peu à peu c'est comme cela qu'on avance. Toutes les recherches scientifiques, que cela soit sur le climat, l'activité solaire, la physique, ou tout autre domaine fonctionne aussi ainsi. Il est dommage, je trouve, qu'on ne trouve pas véritablement de médias capables de présenter aux gens cet aspect vivant de la science au lieu de les gaver d'acronymes d'organismes "disant que" où au final plus personne ne sait vraiment qui fait quoi.

 

Encore une fois, ayez bien aussi à l'esprit qu'il existe un grand nombre de recherches entre l'ENSO et le climat européen, autres que ces quatre études que j'ai un peu "sorties du lot" pour en tirer les idées principales du sujet ; je ne saurais prétendre que vous avez ici présenté l'intégralité des connaissances que nous avons de la question. Par exemple, il existe d'autres études comme celle de 2001 sur l'association entre l'ENSO et les régimes de circulation et de températures de l'Atlantique Nord, celle sur la variabilité intra-saisonnière et multi-décennale de la téléconnexion entre les pressions de surface (100°W–50°E ; 30°–70°N) et les ENSO/LNSO (1873–1996) de 2000 (à vos souhaits), ou encore celle sur la variabilité du storm track atlantique en fonction de l'ENSO de 1997. En sortant du sujet -mais pas trop-, on peut même apprendre que l'ENSO aurait joué un rôle dans l'optimum médiéval européen et notamment dans la sécheresse qui caractérise aussi cette période (2008) et qu'on a même identifié en 2010 des liaisons entre l'ENSO et le climat européen durant l'Eocène (-600000 ans). Comme quoi !

 

 

 

 

Modifié par TreizeVents
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Merci pour cette synthèse passionnante, la question que je me pose par rapport à ces recherche est :

y aura-t-il, ou pas, de la neige à noël à Nancy.....?

Ok, je sors innocent.gif

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Un grand merci treize pour ce superbe résumé des recherches déjà réalisées sur le sujet. Tout comme toi, je profite de ce poste pour apporter mes félicitations au boulot de guy Plaut.

voilà un sujet à suivre pour l'année prochaine qui s'annonce, n ayons plus peur de le dire, sous le signe dun nino très très puissant. ...

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  • 4 weeks later...
  • 3 weeks later...

Bonjour,

 

Après avoir dépoussiéré et surtout remis en forme ce vieux sujet qui avait particulièrement souffert d'une mise à jour du forum qui avait corrompu plusieurs liens et l'affichage des images intégrées, je vais en profiter pour réaliser une actualisation de ce qui était présenté ici. C'est qu'en cinq ans, il en est sorti un paquet de nouvelles études sur le sujet, études qui ont à la fois apporté des réponses .. mais aussi de nouvelles questions. N'étant pas non plus un professionnel du domaine mais un simple amateur qui prend plaisir à parcourir la littérature scientifique sur le sujet, je ne vais pas prétendre vous faire un résumé strictement juste et précis, toujours est-il qu'il y a deux études en particulier dont je voudrais présenter les résultats car je pense qu'elles pourront intéresser nombre d'entre vous et permettre une "mise à jour" sur un indice régulièrement abordé dans les prévisions long terme.

 

En premier lieu, une étude intitulée "On the Linearity of the Stratospheric and Euro-Atlantic Sector Response to ENSO" publiée en octobre 2019 par l'AMS. Elle ne révolutionne rien par rapport à ce qui était évoqué dans le post initial de 2015, c'est davantage une confirmation des résultats de Vincent Moron et de Guy Plaut dans leur étude de 2003 : El Niño semble favoriser sensiblement les régimes de blocage (= conditions particulièrement froides) en Europe en seconde partie d'hiver, alors que La Niña favorise ces blocages plutôt en fin d'automne / début d'hiver avant une suite plus zonale. Illustration :

 

 

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Ce diagramme représente l'anomalie de pression au sol, moyennée depuis 30° ouest jusqu'à 30° est - soit grosso modo des Açores et de l'Islande à l'ouest, jusqu'à Istanbul et Minsk à l'est, selon la latitude, l'avancement de la saison hivernale, chaque cadre correspondant à une situation de l'ENSO (EN1.5 = El Niño avec anomalie de +1,5° ; LN2.25 = La Niña avec une anomalie de -2,25°). La présence de points noirs indique que les résultats sont statistiquement significatifs et robustes. Bon, comme cela peut être un peu compliqué à comprendre, illustrons deux exemples qui permettent de comprendre le raisonnement :

 

 

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Lorsqu'on est en situation EN2.25 (= El Niño relativement fort, anomalie de +2,25°), les conditions sont anormalement anticycloniques sur le nord de l'Europe (cadre rouge) durant toute la saison hivernale, jusqu'en mars. A l'inverse, les pressions sont anormalement dépressionnaires sur l'Europe du sud et la Méditerranée (cadre bleu) de décembre à mars, avec un maximum d'intensité vers début février. En milieu de printemps, la situation tend à se décanter avec des anomalies dépressionnaires qui se repositionnent vers l'Europe du nord (cadre violet). C'est un schéma type de blocages hivernaux conséquent, centrés surtout sur la seconde partie d'hiver (janvier / février), avec retour de conditions plus zonales au printemps.

 

 

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En période La Niña modérée avec anomalie de l'ordre de -1,5° (exemple non choisi par hasard, c'est plus ou moins ce qu'on a cette année), les résultats sont moins spectaculaires que sur l'exemple précédent, mais on distingue un léger signal sur des anomalies anticycloniques sur l'Europe du nord entre novembre et décembre (cadre rouge), avant la prédominance d'anomalies dépressionnaires sur le reste de l'hiver qui viennent se caler vers 50° nord (cadre bleu), ce qui est souvent le marqueur d'un régime zonal amplifié au niveau de la France.

 

Conséquence logique de ce qui précède, moyenné sur l'hiver climatologique (DJF), l'indice NAO est bien plus souvent négatif les années El Niño (et d'autant plus que cet épisode est costaud), que les années Niña. Les dispersions sont quand même particulièrement fortes, indiquant qu'il reste beaucoup de variabilité externe...

 

 

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Lien vers l'étude : https://journals.ametsoc.org/jcli/article/32/19/6607/344010

 

 

Seconde partie, et la plus intéressante de ce post d'actualisation : l'ENSO fait varier l'impact de la MJO sur les régimes européens en hiver.

 

 

En titre de préambule, cela ne sera pas une découverte pour la majorité d'entre vous, on présente souvent ce schéma qui indique l'évolution en terme de fréquence des quatre grands régimes de temps hivernaux en fonction de l'indice MJO :

 

 

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L'idée principale, c'est d'essayer d'anticiper le régime général que l'on pourrait avoir à long / très long terme en fonction de l'évolution de l'indice MJO. C'est loin d'être une science exacte, c'est à manier avec une grande prudence et davantage comme une boussole rudimentaire qu'un GPS, mais cela peut toujours être utile surtout dans les périodes où les modèles pataugent ou pour essayer de prolonger un tant soit peu leur horizon. Mais je pense que tous ceux qui s'y sont essayé vous le diront : même si cela peut parfois donner de bons résultats, souvent aussi c'est quelque chose qui n'a mené à rien.

 

Dans une étude intitulée "ENSO Modulation of MJO Teleconnections to the North Atlantic and Europe", publiée en novembre 2019 dans les GRL, plusieurs chercheurs ont apporté une précision qui ne manque pas d'utilité : si la MJO joue effectivement un rôle dans les probabilités d'occurrence de certains régimes atmosphériques européens, ce rôle est néanmoins différent selon les phases de l'ENSO. Ou dit différemment, une même phase de la MJO peut sembler favoriser tel régime en période El Niño, mais sembler en favoriser un autre (ou aucun) en période La Niña.

 

Voici par conséquent ce qu'on pourrait appeler la version 2.0 du graphique précédent, celui qui détaille les occurrences des régimes de temps en fonction de la MJO et de l'ENSO :

 

 

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La présentation est exactement la même, mais désormais nous avons le détail des résultats sur la moyenne de toutes les années (en haut à gauche, dont les résultats sont logiquement similaires à ce qu'on avait dans le graphique précédent sur lequel aucune distinction n'avait été faite entre les différentes années), mais également uniquement sur les années Niño (haut droit), Niña (bas droit), et les années où l'ENSO est neutre (bas gauche). Ce qui frappe surtout au premier coup d'oeil, c'est que finalement la MJO semble impacter de manière beaucoup plus sensible les régimes des temps européens en période Niño, alors qu'à l'inverse en période Niña la relation semble beaucoup plus diluée, moins franche, et au final moins exploitable. Les années neutres étant logiquement entre les deux.

 

Autre manière de présenter les résultats, avec quelque part une vision beaucoup plus enrichie que le simple partage entre quatre régimes de temps, voici la corrélation entre les anomalies de géopotentiels à 500 Hpa et la valeur d'indice de la MJO, selon là encore la situation sur le front de l'ENSO :

 

 

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Les différences qui étaient déjà assez visibles sur les régimes de temps deviennent ici évidentes, on notera même qu'à certains niveaux d'indice MJO les résultats peuvent complètement s'opposer sur certaines régions. A l'exemple du Groenland, sensiblement dépressionnaire en MJO phase 4 en période El-Niño et au contraire sensiblement anticyclonique sur la même phase MJO en période Niña. Autant dire qu'on allait au casse pipe quand on essayait avant d'anticiper l'impact de la MJO phase 4 sur l'Atlantique nord quand on ne connaissait pas cette *légère* subtilité !

 

Ce qui est intéressant aussi, c'est que les chercheurs se sont efforcés de comprendre les mécanismes à l’œuvre expliquant ces résultats, et qu'ils ont mis en lumière le fait que selon que l'on soit en période Niño ou Niña, on pouvait parvenir à un même résultat mais pour des raisons différentes. Par exemple, tant durant El Niño que durant la Niña, la phase 7 de la MJO tend à favoriser à long terme la mise en place d'un régime de type NAO-. Et ce qui est intéressant, c'est que ce résultat similaire provient de grands jeux d'influences complètement différents. Pour visualiser aussi ce qui les oppose, les chercheurs ont également mis en évidence comment la phase 3 de la MJO couplée à El Niño favorise les régimes NAO+, alors qu'en période Niña il n'y a pas vraiment d'impact.

 

 

 

 

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Voilà qui devrait sérieusement relancer le rôle de la MJO et de son suivi dans les prévisions long terme en période hivernale. Les précisions apportées sont sur ce point particulièrement intéressantes, et devraient potentiellement permettre de moins "taper dans le vide" .. mais cela restera néanmoins toujours qu'un indice à utiliser avec humilité et parcimonie.

 

Lien vers l'étude complète : https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1029/2019GL084683

 

 

 

Mon seul regret, c'est que ces deux études mettent dans un sac commun les épisodes de l'ENSO, sans forcément se pencher sur la dualité entre les épisodes classiques ou "EP" (de East Pacific), des épisodes dits modoki ou "CP" (central pacific). Cela n'a pas été présenté ici, mais on en a souvent parlé dans les topics de prévision saisonnière : les impacts des épisodes de l'ENSO sur le climat hivernal européen varient sensiblement selon le type d'épisode, avec parfois des résultats complètement opposés qui diluent les moyennes d’ensemble et faussent les résultats. Vous avez déjà du voir ce graphique, posté de nombreuses fois, et qui montre l'évolution de l'indice NAO durant l'hiver selon le type d'épisode Niña :

 

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La lecture de ce graphique tempère très fortement ce qui était évoqué plus haut et dans le post de 2015, à savoir que la Niña favorise les régimes plutôt NAO+ (zonal et douceur humide chez nous) en seconde partie d'hiver : c'est vrai .. mais semble t-il uniquement lorsqu'on est en condition de Niña CP/modoki. Et sur ce point, une étude intitulée Combined Impacts of PDO and Two Types of La Niña on Climate Anomalies in Europe publiée en 2017 par l'AMS, qui s'est également penché sur les interactions avec la PDO, a enfoncé le clou sur le sujet. Voici ce qu'on pourrait donc intituler la "version 2.0" du graphique précédent :

 

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On retrouve bien cette dualité entre le pic positif observé de NAO en fin d'hiver en Niña CP (rouge) qui s'oppose au contraire à un pic de NAO- sur la même période en Niña EP (bleu), lorsque l'indice PDO est également négatif. On rajoute cependant une remarque : le pic de NAO- est moins prononcé, mais plus durable sur l'ensemble de la saison, lorsqu'on combine une Niña EP à un indice PDO positif. Ne cherchez pas la combinaison Niña CP / PDO+, trop peu fréquent pour être étudié. Le résultat sur les anomalies de température et de précipitations sur la période hivernale en Europe, logique et brutal :

 

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La Niña modoki / CP conduit à des hivers particulièrement doux en Europe (logique de la NAO+), alors que la Niña EP produit le résultat inverse avec des modulations selon la situation au niveau de la PDO. Pas vraiment une découverte par rapport à ce qu'on savait déjà, mais c'est encore plus net qu'estimé auparavant.

 

Une petite subtilité néanmoins, c'est la manière dont les chercheurs ont distingué les épisodes CP et EP en fonction des anomalies de température de surface du Pacifique durant le trimestre DJF :

 

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Traditionnellement, on distingue surtout ces épisodes par le positionnement des anomalies froides : la Niña CP c'est un cœur froid situé entre 140° et 180° de longitude ouest et des anomalies proches de zéro vers les côtes de l’Équateur et du Pérou, alors qu'en Niña EP ce cœur froid est plus à l'est, entre 110° et 150° de longitude ouest, et se propagent le long des côtes américaines. Ici, notez la précision intéressante : en Niña CP, on a également un fer à cheval d'anomalies chaudes sur l'ouest du Pacifique qui est bien plus marqué.

 

Lien vers l'étude : https://journals.ametsoc.org/jcli/article/30/9/3253/94366

 

 

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J'étais en train de relire les publications de Cassou et Terray [1], de Brönnimann [2] et de Wenjun Zhang, Lei Wang, Baoqiang Xiang, Li Qi, Jinhai He [3] et comme tu le soulignes, rien de révolutionnaire n'a été produit mais les directions ont été précisées. Et c'est bien de relativiser si ce n'est de tordre le coup, à l'idée que « chouette, La Nina va nous être favorable à un hiver frais/froid ! » souvent apparue dans le topic saisonnier. Ce n'est pas faux, ce n'est pas vrai non plus. Autant les effets sur le sud-est asiatique, l’Océanie et la façade ouest de l'Amérique sont à peu près cerné, autant les effets sur l'Atlantique et l'Europe sont interdépendants et se diffusent avec d'autres messages notamment extra-tropicaux, de grande échelle eux aussi. Bref, tu as rédigé un post pertinent ! J'en profite pour ajouter ces quelques références plus anciennes dont une 4e que j'ai noté mais pas encore lue.

 

 

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Anomalies des SST et du vent de surface en DJF selon une Nina-EP (a) et CP (b). L'influence relative sur l'Atlantique et la façade européenne est claire.

 

 

[1] : Dual Influence of Atlantic and Paci c SST anomalieson the North Atlantic/Europe Winter Climate,

Christophe Cassou, Laurent Terray

http://cerfacs.fr/wp-content/uploads/2016/09/GLOBC-Article-Cassou_terray_GRL_2001.pdf

 

[2] : IMPACT OF EL NIN ̃O–SOUTHERN OSCILLATIONON EUROPEAN CLIMATE,

S. Brönnimann

https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1029/2006RG000199

 

[3] : Impacts of two types of La Niña on the NAO during boreal winter,

Wenjun Zhang, Lei Wang, Baoqiang Xiang, Li Qi, Jinhai He

https://link.springer.com/article/10.1007/s00382-014-2155-z

 

[4] : Interannual climate anomalies in the Atlantic-European regionassociated with La-Nina types,

E N Voskresenskaya, O V Marchukova, V N Maslova, A S Lubkov

https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1755-1315/107/1/012043/pdf

 

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  • 4 weeks later...
Posté(e)
Toulouse, fontaines/Bayonne, en plein ICU, bien trop loin de la neige de mes montagnes tarnaises et cevenoles

Quelqu un peut m expliquer cette phrase, vue dans un article qui traite d El Nino ? 

"L’impact se ressent en outre sur la durée du jour, plus longs lors des années à dominante El Niño, qui durent entre six et dix ans." 

 ?!?!? 

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Il y a 3 heures, Matpo a dit :

Quelqu un peut m expliquer cette phrase, vue dans un article qui traite d El Nino ? 

"L’impact se ressent en outre sur la durée du jour, plus longs lors des années à dominante El Niño, qui durent entre six et dix ans." 

 ?!?!? 

 

Traduction automatique un peu foireuse d'un article initialement dans une autre langue ?

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Toulouse, fontaines/Bayonne, en plein ICU, bien trop loin de la neige de mes montagnes tarnaises et cevenoles
Il y a 3 heures, TreizeVents a dit :

 

Traduction automatique un peu foireuse d'un article initialement dans une autre langue ?

C est aussi ce que je pensais la au travail ce matin, mais non je regarde a l instant et le site est bien en français, sauf erreur de ma part 

https://www.novethic.fr/lexique/detail/el-nino.html

 

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Toulouse, fontaines/Bayonne, en plein ICU, bien trop loin de la neige de mes montagnes tarnaises et cevenoles

Bin oui mais je comprend pas comment on peut dire qu un évènement climatique impacte la durée du jours, et d autant plus que le reste de l article est bien

Je vais peut être le mettre sur le topic exagérations medias

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Toulouse, fontaines/Bayonne, en plein ICU, bien trop loin de la neige de mes montagnes tarnaises et cevenoles

Ha cool j' avais pas pensé, merci😉

Donc actuellement c est plutôt une Niña EP ou CP qui se dessine ? 

Edit

glbSSTSeaInd6.thumb.gif.5a7c37f3f8d24bd47b309b40acfbddca.gif

 

D accord, donc à priori clairement une Niña EP, avec 90% de chances jusqu'à fin janvier, puis 55% pour la suite jusqu à fin mars

 

Hiver froid ? (limite H s ?) 

Modifié par Matpo
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  • 4 weeks later...
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Toulouse, fontaines/Bayonne, en plein ICU, bien trop loin de la neige de mes montagnes tarnaises et cevenoles
Le 14/11/2020 à 08:07, Matpo a dit :

Quelqu un peut m expliquer cette phrase, vue dans un article qui traite d El Nino ? 

"L’impact se ressent en outre sur la durée du jour, plus longs lors des années à dominante El Niño, qui durent entre six et dix ans." 

 ?!?!? 

 

 

Bref retour la dessus 

Je pose ça la je viens de tomber dessus

Je vais m'asseoir avant de le lire

https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&url=http://www.legos.obs-mip.fr/dewitte/bxd_data/fullpaper/abarcadelrioxp.pdf/switchLanguage%3Fset_language%3Dfr&ved=2ahUKEwj9mqKC77vtAhXMxoUKHYY0BZI4ChAWMBJ6BAgSEAE&usg=AOvVaw170czXRalE01sbXl5KkNbo

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