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skept

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  1. J'ai un peu répondu : les actes concrets, c'est implémenter les ENR partout où elles sont déjà compétitives dans la grille ; taxer le carbone (raisonnablement) pour améliorer cette compétitivité ; développer des plans nationaux drastiques sur les économies d'énergie et les gains d'efficience énergétique (normes dans le bâtiment, les entreprises, etc.) ; financer de la R&D fondamentale et applicative (accélérer le transfert de la science vers l'industrie), etc. Chacun peut bien sûr agir dans son existence (moi je suis déjà à l'objectif 2050, moins d'une tCO2/an), mais pour les ordres de grandeur requis, il ne faut pas attendre que les changements volontaires de comportement de chacun suffisent, c'est sont les infrastructures de production, conversion et consommation énergétiques qui feront la différence entre maintenant et 2050.
  2. 1) Dans le domaine scientifique il faut bien admettre que le "camp" faisant l'hypothèse que le RC moderne est surtout dû à des causes naturelles, notamment depuis 1950, n'a quasiment plus un seul défenseur dans les publications peer-reviewed. 2) Dans le domaine politique, ce "camp" n'explique pas le blocage des décisions. Les choses sont beaucoup plus matérielles : les Indiens n'ont que 25GJ/hab/an, ils veulent faire comme leur voisin chinois qui ont atteint 50GJ/hab/an (nous on est bien au dessus avec 190 GJ et les Nord-Américains 330 GJ, pour les ordres de grandeur). Or, les Indiens sont assis sur un tas de charbon. Donc ils traînent des pieds aux négociations car ils n'ont pas envie de voir leur plan de développement national bousillé par des objectifs climatiques. Et en fait, c'est très compréhensible, quand toi tu as 190GJ/an pour ta vie assez agréable en Occident, tu ne peux pas faire la leçon à des Indiens qui ont 8 fois moins! Et même si toi tu divises par deux ce que tu as, ce qui est déjà un gros effort, le simple fait que les 1,2 milliards d'Indiens multiplient par deux le peu qu'ils ont (ce qui fera encore assez peu à l'arrivée) pulvérise les concentrations atmosphériques de GES si cette multiplication est faite par du gaz, du charbon ou du pétrole. Ce genre d'exemple, tu en as plein. Le problème concret (en terme d'actions) de la prévention climatique se situe désormais là : fournir aux populations les services énergétiques (éclairage, chauffage, puissance motrice, etc.) dont ils ont besoin mais à faible intensité carbone et, si possible, à faible coût. Le reste sera toujours de la littérature, si on ne sait pas faire cela, la courbe d'émission CO2 des pays en développement restera en croissance exponentielle comme elle l'est depuis 1990.
  3. Justement, quelles actions proposes-tu "à hauteur du problème"? Là, je crois que tu n'as pas bien compris : les émergents se chargent désormais eux-mêmes de réduire les inégalités, ils sont à l'origine de l'essentiel des accroissements d'émission carbone observés depuis 1990 grâce à leur forte croissance économique. C'est-à-dire +49% en émission aux dernières nouvelles du GCP. Quand tu vas voir le papier d'origine dans Nat Clim Change, la courbe d'émission OCDE est plate depuis 20 ans, celle des non-OCDE grimpe en flèche (et a dépassé l'OCDE depuis un certain temps). Et vu le rapport démographique, même si l'OCDE met les bouchées doubles, cela ne suffira pas à rester en dessous 450 ppm dans ces conditions. C'est cela qui bloque aux négociations, avec les Ricains. Et c'est cela la "hauteur du problème" pour lequel on cherche des solutions. Sinon, oui, je pense sérieusement qu'on a encore le temps de s'occuper des inégalités, vu que cette question ne relève pas du niveau de réchauffement observé ou projeté (un monde trop inégalitaire n'est pas tenable à +0K, +1K, +2 K, etc.).
  4. Vu comment cela avait commencé, je trouve cette issue assez inespérée. On verra toujours le verre à moitié plein et à moitié vide, mais a- Kyoto (c'est-à-dire le principe d'une quantité maximale d'émission) n'est pas enterré ; b- les Etats-Unis et les BRIC s'engagent vers son extension à partir de 2015 pour un traité et de 2020 pour les actions. Pour la diplomatie européenne, c'est plutôt une réussite car elle n'arrivait pas à Durban avec beaucoup de munitions dans ses bagages. Reste qu'il y a la lettre et l'esprit. On sait que les Etats-Unis avaient participé à toutes les négociations de Kyoto mais ne l'ont finalement jamais ratifié, que ce soit sous Clinton, Bush ou Obama. On peut très bien avoir le même scénario dans les années à venir, et pas seulement de la part des Etats-Unis.
  5. Oui enfin si le con marche droit vers un ravin, les dix intellos pourront toujours réfléchir au meilleur moyen de l'en sortir Que des "collectifs de scientifiques agissent", c'est bien, mais la principale action attendue, c'est de convaincre la Chine, l'Inde, le Brésil, l'Indonésie et quelques dizaines d'autres que la sortie de la pauvreté est compatible avec la décarbonisation de l'économie. Et cela maintenant. Ce n'est pas eux qui ont collé 120 ppm dans l'atmosphère, c'est essentiellement nous. Et comme en témoigne notre mode de vie par rapport à celui de 1820, on en a largement profité. Pour empêcher 7 milliards d'humains de coller les prochains 120 ppm à seule fin de profiter un peu de ce mode de vie, au lieu de rester paysans pauvres toute leur existence et celle de leurs enfants et petits-enfants aussi bien, il va falloir trouver les bons arguments et les bonnes solutions. Qui, comme le rappelle régulièrement Sirius, ne ressembleront pas à des "yakafokon" simplistes.
  6. Ah mais ce ne sont plus les SRES, ce seront désormais les RCP pour Representative Concentration Pathways (trajectoire représentative de concentration), à partir de l'AR5. Il y en a quatre, nommé en fonction du forçage attendu en W/m2 : RCP 3, RCP 4.5, RCP 6, RCP 8.5. On trouve ici (IIASA) une documentation assez complète en anglais et ici (Univers Science) une présentation rapide en français. Ces RCP seront assortis de SSP (Shared Socio-Economic Pathways) qui ressembleront aux anciens SRES. Mais les physiciens du groupe I peuvent travailler directement sur les quatre hypothèses de forçages. A mon avis, SRES, RCP ou SSP, il est bien improbable que l'on puisse efficacement contraindre ce que pourrait être l'avenir énergétique et économique de l'humanité sur un siècle. Travailler sur un doublement du CO2 ou son équivalent radiatif paraît raisonnable car on devrait y parvenir (ou au moins pouvoir le faire), mais les hypothèses allant jusqu'au triplement me semblent exagérement optimistes sur les ressources fossiles bon marché et/ou excessivement pessimistes sur l'inventivité humaine.
  7. En fait, le modèle utilisé par Schmittner et al 2011 sur le dernier maximum glaciaire (UVic, un modèle canadien de complexité intermédiaire) a aussi été utilisé pour la période contemporaine dans un papier à paraître dans le JGR, Olson et al. Or cette fois, le modèle produit pour un doublement CO2 une hausse des T de 2,8 K comme best estimate, et une fourchette à 95% de 1,8-4,9K. C'est-à-dire en gros le best estimate de sensibilité climatique du GIEC. Il n'y a donc en effet aucune raison d'inférer du travail de Schmittner et al 2011 sur le LGM l'idée que la sensibilité à un doublement futur serait modeste, c'est plutôt le enième travail confirmant qu'elle a de grande chance d'être dans la fourchette 2-4,5 K.
  8. Non, les pays où l'électricité fait défaut pour la majorité de la population n'ont pas l'infrastructure ni la stabilité requises pour assurer un développement nucléaire. Ce sont donc des formes renouvelables et décentralisées qui sont envisagées. (Ainsi que la modernisation des équipements de cuisson et chauffage à base de biomasse, qui sont dans leur état actuel à l'origine d'une forte mortalité, près de 2 millions de morts par an en raison des intoxications dues aux fumées de combustion... un bilan autrement plus lourd que le nucléaire!). C'est une des incohérences (ou hypocrisie) de Kyoto : le protocole n'inclut pas le calcul de l'énergie grise contenue dans les flux d'importation, donc acheter massivement des biens de consommation chinois fabriqués grâce au charbon et transportés grâce au pétrole est supposé être neutre. Le cabinet Carbone 4 a pu calculer qu'en réalité, une fois prise en compte la consommation totale (dont les importations "oubliées"), les émissions françaises de CO2 ont par exemple augmenté de 13% depuis 1990.A noter cependant qu'une récente étude de Minx et al a montré que les émission chinoises de CO2 ont d'abord eu pour moteur principal l'exportation de biens (années 1990, début 2000), mais qu'à partir de 2002, c'est le développement intérieur du pays qui devient la principale source. Même si le commerce mondial ralentissait, un milliard de personnes à nourrir, loger, chauffer, équiper, transporter, ce n'est de toute façon pas possible sans une part fossile dominante. L'enjeu est plus réalistement d'éviter que cette part fossile soit écrasante, comme ce fut le cas dans la révolution industrielle occidentale, et de concevoir des infrastructures aux meilleures normes du moment pour l'efficience énergétique. Comme je l'avais indiqué plus haut, les Chinois paraissent de plus en plus conscients de ces enjeux. Voir cet article des Echos sur les positions des uns et des autres à Durban.
  9. Je dirais qu'une solution "simple" pour l'objectif 450 ppm n'existe pas. En revanche, des mesures simples sont possibles qui, sans apporter "la" solution, contribuent à avancer dans la bonne direction. Une taxation progressive du carbone est simple à mettre en oeuvre (à la source, chez les producteurs d'énergie fossile) et son revenu peut être redistribué vers ceux qui en ont le plus besoin (Fonds vert du climat, accès à l'électricité propre pour les 1,5 milliard d'humains qui en sont totalement dépourvus et dépendent entièrement de la biomasse). Cette taxe progressive pourrait être faible au départ, afin d'avoir un consensus. Ce n'est pas cela qui infléchirait brutalement les émissions, mais cela acterait le fait que le carbone a des coûts sociaux et environnementaux, et cela permettrait un début de redistribution plus égalitaire. Pour atteindre un objectif global de concentration, en revanche, il faudrait d'une manière ou d'une autre des quotas d'émission par pays déterminés en fonction d'une quantité maximale à émettre d'ici 2050. C'est le seul moyen réel, sinon on n'empêche pas que les gains réalisés sur une source se traduisent par des pertes sur une autre ("tout content d'avoir économisé sur mon carburant voiture, mais je me paye en fin d'année un voyage dans les tropiques...", ce que l'on appelle l'effet-rebond). Mais c'est toute la difficulté dont on parle depuis quelques messages. Les pays du premier monde (OCDE) ne sont pas en grande forme pour des réformes ambitieuses, les pays du deuxième monde (émergents) sortent de la pauvreté et ne peuvent bloquer leurs trajectoires de développement (socialement intenable pour leur population et moralement injuste par rapport au premier monde), les pays du troisième monde (pauvres) ont des émissions si faibles qu'on ne songe de toute façon pas à les brider. Donc, il faudra des années de négociations... comme pour tous les autres grands problèmes! Cela fait quarante ans que l'on parle de la faim dans le monde, on a encore en 2011 près d'un milliard de malnutris avec des conséquences très graves sur le développement des enfants. Les passionnés du climat sont sans doute agacés du contraste entre le progrès rapide des connaissances et la lenteur des décisions / transformations. Mais c'est la règle dans l'histoire humaine, on paramètre plus facilement un modèle qu'une société! Finalement, il ne faut pas céder à une vision trop radicale, soit on ne fait rien soit on prend un virage à 180°. Un tel virage énergétique serait objectivement dangereux, on ne bouscule pas une société humaine nombreuse, complexe et interdépendante sans risque. Plutôt que des positions maximalistes, il maintenir le fil de la négociation et, face aux difficultés, viser des objectifs modestes.
  10. C'est en partie vrai, mais voir cette tribune récente de Simon Kuper dans le Financial Times. Ce serait une erreur de perspective d'attribuer aux "sceptiques" un pouvoir d'influence globale qu'ils n'ont pas réellement (même s'ils en rêvent peut-être!). 97% des scientifiques et des politiques sont d'accord sur le diagnostic : ce ne sont pas les 3% qui bloquent en soi. Plutôt le fait que du diagnostic à la réforme, il y a un pas de géant. [HS ON] Quant au cas américain, je pense qu'il va bien au-delà de la question du scepticisme. Même sous Clinton (et Al Gore vice-président), même sous Obama en demi-mandat à majorité démocrate, rien n'est décidé. On a vu que la paralysie croissante du pays ne concerne pas que le climat : les USA ont perdu leur triple A après avoir montré au monde que leurs partis politiques ne pouvaient pas s'entendre au sommet sur un plan de remboursement de la dette, et préféraient une guerre de tranchée suicidaire. On a également vu que face à la crise financière, malgré l'échec flagrant de 30 ans de dérégulations et crédit facile, les réformes de fond n'avancent que difficilement et les puissances d'argent utilisent tout leur pouvoir à Washington pour entraver une remise en cause de leur fonctionnement. On observe que les USA ne peuvent éviter de s'embourber coûteusement dans des conflits lointains dont l'accès aux ressources pétrolières était le motif principal. Et la moitié républicaine du pays paraît s'enfoncer dans un radicalisme religieux, isolationniste et antiscience de plus en plus violent (qu'il s'agisse du climat ou de l'évolution pour ce qui est du refus de la science). Le climat n'est ainsi qu'un symptôme de l'incapacité générale des USA à repenser son rôle dans le monde et son modèle intérieur. Le déclin prévisible de l'hyperpuissance américaine et la manière dont le pouvoir de Washington tentera de l'enrayer ne sont pas la moindre des incertitudes géopolitiques qui vont affecter les années et décennies à venir. Mais là on sort largement du climat! [HS OFF]
  11. La globalisation du problème découle de sa nature : réduire les émissions localement n'a pas d'effet notable, comme l'a montré le protocole de Kyoto. Les Européens peuvent se serrer la ceinture, si les Chinois et les Américains (40% des émissions pour ces deux seuls pays) ainsi que tous les autres ne font rien, on ne gagnera pas grand chose en terme de ralentissement de hausse du CO2 atm. (Il faut toujours avoir les chiffres en tête : 90% des besoins d'énergie et 70% des hausses d'émission sont hors OCDE entre maintenant et 2035). Désolé d'en revenir à l'économie, mais elle est indispensable pour comprendre la difficulté des négociations. Les mesures climatiques ont un coût. Si un ensemble de pays adopte ces mesures pendant que les autres ne font rien, ces pays ont un désavantage compétitif : leur énergie est plus chère, leurs produits aussi. Dans une économie globalisée, cela signifie forcément des pertes de part de marché, des déficits de balance commerciale, des délocalisations, des pressions sur les salaires pour compenser, etc. Par ailleurs, de même que les financiers véreux vont dans les paradis fiscaux, les industries polluantes iront dans les "paradis carboniques" s'ils existent (là où il n'y a aucune norme). Cet ensemble de raisons (besoin d'une réduction mondiale concertée, nécessité d'éviter les déséquilibres entre pôles économiques, impossibilité d'exemption qui favoriserait les stratégies "parasites") explique l'obligation d'un accord global sur le climat : on cherche un cadre acceptable et accepté par tous, un tel cadre est nécessaire pour des effets observables. Ce n'est pas propre au climat : l'interdit des CFC pour la couche d'ozone n'avait de sens que si tout le monde le respectait. En revanche, si un accord finit par être trouvé, il ne faut pas imaginer qu'un grand "machin" mondial va dicter à chaque pays sa politique climatique et énergétique. Là, on reviendra au niveau national et local (villes et régions). Et on reviendra aussi au niveau privé : les entreprises seront en compétition pour s'adapter au mieux aux nouvelles normes, les mécanismes incitateurs du marché joueront leur rôle d'aiguillon. Si un Etat, une ville, une région lance des appels d'offre pour des projets énergétiques, ce seront les prestataires les plus concurrentiels qui seront choisis, fort logiquement. De là l'importance de ne pas perdre pied dans cette course industrielle.
  12. Il y a aussi des raisons d'être optimiste, puisque la conscience des problèmes accélère la recherche des solutions! La clé principale réside à mon avis dans la science et la technologie, que ce soit pour observer-modéliser-anticiper les changements auxquels nous devrons faire face ou pour mettre au point des solutions visant soit à prévenir ces changements, soit à s'y adapter. Le premier volet est très avancé pour la question du climat à travers le GIEC, et pour d'autres sujets par d'autres instances de l'ONU, quoique de manière moins systématique et moins interdisciplinaire. Le second volet relève de la R&D publique et privée, dans le domaine de l'agronomie, de l'énergie, des matériaux, etc. Après, ce qu'on peut et doit faire se décline au plan local (national). En Europe on a un plan énergie-climat pour 2020 mais il est peu débattu en France. Pour l'instant, le seul point discuté de la campagne a été le nucléaire, sans que l'on précise son contexte plus général de transition énergétique à visée de prévention climatique : le débat est donc très pauvre, l'information des citoyens encore médiocre. On arrivera à mon avis un jour ou l'autre à des situations comme celle de la fin des années 1970 (crises pétrolières), où l'on avait pris brutalement conscience de la nécessité de chasser les gaspillages et de trouver des sources alternatives d'énergie. Le noeud de la question climatique est là, puisque tout résulte du forçage GES lui-même associé à notre dépendance fossile. Ce n'est qu'en cassant cette dernière que l'on avancera dans la bonne direction. On aurait aujourd'hui (d'après le SRREN 2011 du GIEC), un potentiel mondial de production d'environ 250 EJ/an avec le renouvelable pour 2050. Il faudrait idéalement multiplier ce chiffre par deux, mais cela passe par l'amélioration technique constante des procédés en solaire, éolien, marémoteur, géothermie, biocarburant, etc. Et aussi en fission (court terme) et fusion (long terme) nucléaires. ??
  13. La limite que je trouve au texte d'ELL, c'est que les sociétés anciennes étaient des sociétés agraires : environ 90% de la population vivaient directement de la culture des sols. La variabilité climatique produisait donc des effets importants et, jusqu'au milieu du XIXe siècle, les crises frumentaires dégénéraient facilement en crise économique et politique générale. Aujourd'hui, la présence d'une forte population rurale est encore le cas dans les pays les plus pauvres, mais ils tendent à être minoritaires (plus de la moitié de la population est mondiale est urbaine depuis 2007, on anticipe de mémoire plus des deux-tiers vers 2050). Deux mécanismes ont changé : la modernisation des techniques agricoles, le développement du commerce international. Il y a toujours des crises agricoles locales, mais les surplus dans la disponibilité alimentaire mondiale (dus à la forte productivité) permettent de redistribuer lorsqu'un pays subit de mauvaises années (sécheresse russe de 2010, américaine et française de 2011, etc.). Il y a des pertes économiques, mais pas de drames comparables aux sociétés d'Ancien Régime : la France a quand même perdu 1,7 million de vies dans la grande famine du PAG en 1693-94, ce qui ferait aujourd'hui quelque chose comme 5 millions de morts! C'est évidemment sans comparaison avec ce que l'on subit en cas de mauvaise année... L'autre point, c'est que nous sommes en situation inverse du PAG puisqu'on attend un réchauffement et non un refroidissement. Jusqu'à un certain seuil, les conditions d'un réchauffement ne sont pas négatives, surtout avec un surcroît de CO2, en dehors bien sûr des événements extrêmes locaux : le rapport GIEC AR4 WG2 prévoit que les rendements pourraient monter tant que l'on prend 1 à 3 °C (selon les régions), mais baisser ensuite. Le point le plus critique concerne les pays les plus vulnérables, comme on l'a vu avec la sécheresse de la corne africaine cette année, venant s'ajouter aux problèmes locaux (surpopulation, surpâturage, absence d'Etat stable, absence d'infrastructure de pompage, stockage et irrigation, guerre civile). En revanche, c'est la potentialisation des crises qui peut être néfaste (idée de Sirius) : si l'on est confronté à une variabilité climatique renforcée, et qu'en plus le défaut de certaines ressources fait pression sur l'agriculture, la question alimentaire a de bonnes chances de redevenir centrale. Le meilleur candidat pour un défaut important est bien sûr le pétrole, qui est indispensable en l'état actuel au machinisme agricole, à la fabrication d'engrais et au transport mondial (permettant de redistribuer et lisser les productions). En ordre de gravité, il est cependant raisonnable de penser qu'un manque de pétrole à climat constant poserait plus de problèmes qu'un climat inconstant avec abondance de pétrole. Car comme toujours, c'est l'énergie qui permet l'adaptation. Si l'on en dispose en abondance, on peut toujours imaginer des solutions : la culture hydroponique hors-sol peut par exemple s'implanter un peu partout, mais elle dépend de flux réguliers d'eau et d'éléments nutritifs qui dépendent eux-mêmes de flux d'énergie pour les produire. Il y a encore près d'un milliard de malnutris, donc toute chose égale par ailleurs, un climat plus imprévisible à événements extrêmes plus fréquents / plus intenses forme une charge supplémentaire pour solutionner le drame de la faim dans le monde, de même qu'un climat qui réchaufferait très vite. Toujours le même problème, celui du temps et des moyens d'adaptation par rapport aux changements auxquels on doit s'adapter.
  14. Quelques remarques en vrac sur les derniers messages, concernant le recadrage des problèmes présents et la question des politiques. Parlez souvent d’économie me paraît assez normal dans un sujet « société et climat », et s’il y a beaucoup d’économistes dans les groupes de travail 2 et 3 du GIEC, ce n’est pas pour rien. L’économie au sens large, c’est la transformation de la nature pour produire des biens et services. C’est l’activité économique moderne, à travers sa base énergétique (fossile), qui est à l’origine du boom démographique et du changement climatique. C’est aussi elle qui, plus généralement, exerce une pression constante sur les milieux non-humains, pression marquée par le déclin de la biodiversité, l’érosion et l’appauvrissement des sols, le rejet de déchets polluants à plus ou moins longue durée de vie, l’épuisement rapide de certaines ressources non renouvelables, etc. Toutes ces conséquences négatives, appelées externalités en économie, sont connues. Elles sont tolérées parce que l’activité économique apporte par ailleurs des bienfaits : la croissance, qui désigne l’accroissement de la richesse totale produite à chaque génération, a permis d’améliorer considérablement le bien-être humain depuis deux siècles. Cela se mesure à des indices peu contestés comme la mortalité infantile, l’espérance de vie totale et en bonne santé, l’alphabétisation et le niveau d’éducation. Il ne fait aucun doute que la qualité de vie est plus enviable dans les 30 pays les plus riches que dans les 30 pays les pauvres, et c’est aux moyens d’action que donne l’économie que nous le devons. Bien sûr, une fois la richesse produite, on vit plus ou moins bien selon qu’elle est redistribuée au bénéfice du plus grand nombre par un Etat social et démocratique. Mais dans l'ensemble, l'échange au sens économique est une bonne chose, comme il l'est d'ailleurs aussi au sens culturel ou intellectuel. La question posée en ce début de siècle est : dans le cadre de la globalisation, est-il possible de généraliser les bienfaits de la croissance telle que nous la connaissons sans voir dans le même temps monter en puissance ses externalités négatives ? La réponse est débattue, mais dans l’ensemble elle paraît négative. Le réchauffement climatique dangereux comme conséquence d’une croissance future en « business as usual » est le problème le plus discuté depuis quelques années, mais il n’est pas le seul. Les sources d’énergie et matières premières coûtent de plus en plus cher, les rendements agricoles (liés aux prix de la nourriture) ne grimpent plus aussi vite qu’après la révolution verte des années 1960 : la base agricole et industrielle de toute croissance, et d’abord de toute subsistance, paraît donc confrontée à des défis sans précédent. L’idée que nous aurions une économie tertiaire de bureaux et de services, pas trop coûteuse en matière et énergie, est une idée à la fois ethnocentrique et ignorante de la physique : ethnocentrique car les besoins du plus grand nombre d’humains (hors Occident) tiennent encore à l’économie primaire (production) et secondaire (transformation) ; ignorante de la physique car toute économie, fut-elle tertiaire, a besoin d’énergie et de matière première, et cela d’autant plus qu’il y a une croissance démographique potentialisée par une croissance économique. Le problème le plus aigu est que, malgré la conscience de ces risques et limites, les 5 milliards d’humains les plus démunis sont bien décidés à rejoindre les 2 milliards les plus aisés, comme en témoignent les chiffres de croissance situés entre 4 et 10% par an dans nombre de pays d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique. Le train de la croissance économique en « business as usual » est donc lancé à très grande vitesse, ce que l’on ne perçoit pas toujours dans nos pays à croissance assez molle. Mais du même coup, ce train nous rapproche aussi de plus en plus vite des limites matérielles et externalités négatives de la croissance, à commencer par celles liées au changement climatique dont nous débattons principalement ici. S l’on a bien en tête ce cadre général, on conçoit que les « politiciens » sont un peu démunis face à la nature du problème. Plein de raisons à cela : a- Ils agissent facilement au niveau local mais difficilement en concertation globale (or certains problèmes sont globaux, l'atmosphère et l'océan n'ont pas de frontières) ; b- Ils ne peuvent pas tout contrôler de A à Z, notamment les actions des agents économiques (y compris vous et moi) ; c- Ils agissent en démocratie à assez court terme (quelques années) et sur les problèmes les plus immédiats des populations ; d- Leurs moyens sont de toute façon limités par les possibilités économiques et technologiques (ce ne sont pas de bonnes intentions ou de belles paroles qui changent concrètement les choses) ; e- Ils ont d’autres problèmes à traiter en même temps que le climat et l’environnement : l’emploi, la santé, les inégalités, le retraite, la sécurité, la dette, etc. On peut bien sûr ajouter des points plus polémiques sur la qualité du personnel politique : ces politiciens sont souvent des « littéraires » qui ne sont pas trop au fait des enjeux physiques; ils sont parfois formés sinon formatés par des écoles qui leur inculquent la même idéologie de base ; ils sont soumis au pouvoir des médias et de l’opinion avec des ambitions électoralistes de très court terme, etc. Mais voir le problème des politiques à travers ces seuls derniers points, c’est regarder la pointe émergée de l’iceberg et manquer toutes les réalités derrière. C’est aussi oublier qu’au-delà des élus les plus en vue et les "petits mots" sans intérêt dont raffolent les médias, l’essentiel du travail de gouvernement et de gestion se fait désormais de manière beaucoup plus discrète, et parfois efficace, avec un appel permanent à des expertises pointues. Tous ces constats ne doivent nullement inciter au défaitisme ni au fatalisme : on a vu dans le passé que la société moderne, son organisation politique et son fonctionnement économique sont capables de mutations importantes – par exemple toutes celles qui ont suivi la grande crise de 1929. On aimerait évidemment éviter qu'il faille en arriver à la crise déclarée pour bouger les choses. C'est déjà raté aujourd'hui pour la crise financière et économique, il faut espérer que ce ne sera pas le cas demain pour les crises alimentaires, énergétiques et climatiques. Quoiqu'il en soit, le fait même que nous ayons ces débats ici (et c'est partout pareil dans le monde) indique qu'il émerge lentement une conscience élargie des problèmes humains, ainsi que le besoin d'une rationalité elle aussi élargie, capable d'embrasser la complexité du réel sans justement réduire les enjeux à "plus de croissance demain et tout ira bien". Ce qui boucle ce message : l'économie est certes importante, mais elle est enserrée dans un contexte plus large (la société, l'environnement) et elle ne doit pas oublier qu'elle traite des moyens, et non pas des fins humaines.
  15. Cette interprétation, c'est la version optimiste : la crise de la dette et de la croissance résulte simplement d'un manque de régulation dans les centres de pouvoir financier de l'OCDE. (Et une version centrée sur nos pays, parce que la "liberté" et la "sécurité" dans les 3/4 des pays de la planète, ce n'est pas vraiment garanti.) La version pessimiste : la crise de la dette et de la croissance vient de ce que la base matérielle de l'économie (énergie et matière première) est désormais entrée dans une logique inflationniste sans retour, car 7 milliards d'humains exercent une pression trop forte sur les ressources exploitables. Comme cette pression a d'autres effets secondaires (climatiques, environnementaux) qui augmentent eux aussi les coûts, tu ouvres une période où l'ascenseur social biséculaire se bloque et où la récession / stagnation devient l'horizon normal. Mais de ce que l'on sait, cela peut se passer mal (crise de 1929 par exemple), le désarroi socio-économique vire rapidement à l'affrontement politique, religieux, ethnique. Quand Sirius parle de 40 ans de béquilles, tel que je l'interprète, c'est qu'après les 30 glorieuses (où l'énergie coulait à flot pour quasiment rien et où nos aïeux voyaient bien que leur niveau de vie s'améliorait), on a pu entretenir l'impression que cela allait toujours très bien en endettant les ménages, les entreprises, les Etats. En vivant à crédit. Mais le jour où ta dette devient énorme et où ton revenu stagne (point précédent), eh bien cette illusion s'écroule. Ce que tu croyais être la "liberté" et la "sécurité" n'en étaient pas. Bon, moi je n'ai pas théorie définitive, et la vérité est peut-être entre les deux, mais disons qu'il y a pas mal de signaux d'alarme pour la version pessimiste : l'ère des ressources inépuisables et bon marché se ferme peu à peu, or cela faisait deux siècles que bien des choses reposaient là-dessus dans la civilisation moderne.
  16. Je me suis mal exprimé : comme l'IEA l'a rappelé dans son dernier rapport sur l'énergie, les 4/5e des émissions entre maintenant et 2035 viendront des centrales déjà installées. Donc bien sûr, la Chine restera un gros émetteur vu son option charbon des années 1990 et 2000. (C'est d'ailleurs pour cela que l'IEA place une partie des espoirs de mitigation à long terme dans la capture et stockage carbone, car la probabilité de fermer ces centrales est faible). Mais le pouvoir central de Pékin est en train de changer son fusil d'épaule (quelques indications ici ou là par exemple) : plan quinquennal énergie 2012-2017 centré sur les ENR, le nucléaire et le gaz, lois antipollution, marché intérieur d'émission... Il y a plusieurs raisons à cela: protestations intérieures dans les villes devenues irrespirables, volonté de s'imposer comme leader des ENR (gros marché d'exportation), nécessité de recalibrer ses normes environnementales face à la menace de taxes à l'importation antidumping chez l'OCDE; nécessité plus large de passer "un cran au-desssus" dans la cour des grands à l'OMC, face des concurrents d'Asie du Sud qui font encore plus dans le low-cost (et qui prennent la place des Chinois comme territoires ultimes de délocalisation)... Donc la dynamique de "la centrale à charbon par semaine" date des années 2000, mais s'est ralentie et ne devrait pas être reconduite dans les années 2010. La Chine pourrait à l'avenir jouer un rôle intéressant, aussi bien dans la R&D renouvelable que dans les négociations climatiques. L'Europe seule avec quelques alliés ne pèse pas assez lourd dans les négociations, et la voix de la Chine influe beaucoup sur la position des autres émergents. En 2009, les Chinois avaient décidé que rien ne se passerait à Copenhague, où ils avaient envoyé un obscur représentant d'un ministère quand tous les chefs d'Etat des autres nations étaient là, et il ne s'est rien passé. Il faut plus généralement rappeler (là encore avec le dernier rapport de l'IEA), que 90% de la croissance de la population, 90% de la demande d'énergie et 70% de la croissance économique entre maintenant et 2035 viendront des pays hors OCDE. C'est aussi cela la politique, comprendre que l'Occident n'est plus le centre du monde et que les décisions dans une ère multipolaire ne gagnent pas en simplicité...
  17. Enfin bon, si l'on se prépare vraiment une mégacrise économique, le meilleur moyen de limiter les émissions de CO2 sera tout trouvé : le récession longue durée s'en chargera! C'est un point sur lequel on peut lire des analyses contradictoires. Selon certains, nous serions arrivés en bout de course de l'économie fondée sur l'hypothèse absurdement optimiste de ressources illimitées à coût décroissant (ce qui avait été le cas jusqu'aux années 1970 pour le pétrole, jusqu'aux années 2000 pour les matières premières). Les pays de l'OCDE auraient contré cette évidence après le choc pétrolier par l'artifice de l'endettement (privé ou public) depuis les années 1980, mais cet artifice est en train d'exploser lui-même, de même que les émergents pulvérisent le rêve "cornucopien" d'un capital naturel inépuisable. Si cette analyse est exacte, la manière dont on pose les questions climatiques, énergétiques et économiques va changer dans les années à venir. Mais c'est à voir, difficile de se faire une idée précise en économie où il y a autant d'écoles contradictoires et tant de mou dans les modèles... (Quant à se féliciter de la crise, attention tout de même. Le capitalisme et sa croissance sont peut-être des idées affreuses, mais cela permet aussi de financer des choses pas mal... comme la recherche sur le climat : si vous croyez que l'IPSL ou le LMD ne perdront pas de plumes en cas de faillite des Etats européens, c'est que vous êtes idéalistes! Tout le monde morflera et le secteur académique aussi. On ne peut quand même pas blâmer les politiques pour tout, la recherche publique sur le climat a été activement soutenue depuis plus de vingt ans) Pour Durban, on sait déjà que ce ne sera pas un round très ambitieux, on espère limiter la casse en évitant que Kyoto soit abandonné sans aucun engagement pour l'avenir, ne serait-ce qu'un engagement de calendrier. Mais il est d'ores et déjà quasi-certain que Kyoto a vécu, les Canadiens, les Russes, les Japonais et quelques autres ont prévenu depuis un certain temps qu'ils ne rempilaient pas. L'Europe a de toute façon son paquet énergie-climat 20-20-20 pour 2020, qui est indépendant des négociations dans la convention-cadre des Nations Unies. Ce qui peut débloquer les choses, c'est l'évolution des BRIC, notamment de la Chine (qui passe en ce moment à l'après-charbon), et bien sûr celle des Etats-Unis. Mais dans ce dernier cas, ce sera vraiment difficile. On a bien vu qu'Obama, même en première partie de mandat où il était plus libre, n'a pris aucune décision spectaculaire, et a au contraire dit "amen" à tout (le gaz de schiste, les forages dans le Golfe du Mexique, les importations de pétrole issu de sables bitumineux). Il est à craindre que la seule chose capable de faire comprendre aux Américains le caractère problématiquement court-termiste et non durable de leur mode de vie, ce soit une nouvelle poussée du pétrole vers les 150 $, une nouvelle récession pour leur économie, un nouvel abaissement de la note de leur dette, etc. Hélas, retour au premier point, si l'Amérique éternue, le monde s'enrhume...
  18. Paix, je te félicite pour le long et détaillé travail de tes analyses, mais je n'entrave pas grand chose hélas. Je voulais quand même te signaler à propos de la canicule russe (= les références que tu donnais ci-dessus) cette page de la NOAA qui analyse les différents travaux paraissant sur l'événement : http://www.esrl.noaa.gov/psd/csi/events/2010/russianheatwave/ Quand tu vas dans la page "Detection of Warming", tu as une brève discussion de Rahmstorf et Cormou 2011 par Dole, ainsi que de Barriopedro et al. 2011 dans Science. Dans l'onglet "end point sensitivity", une analyse des T russes mais avec les données CRU. Il est rappelé que la détection de tendance est sensible au choix des dates et que l'absence de tendance claire en juillet dans la région de Moscou ne serait pas un artefact des seules données ajustées GISS (argument de Rahmstorf contre Dole). A suivre donc.
  19. Tout à fait, c'est justement un des points de Rahmstorf 2011 qui, pour ce que je peux en juger, me paraît convaincant. Le second lien (Real Climate) explique que la normalisation (annuelle) utilisée par Dole n'est pas adaptée pour une analyse statistique d'écart à la moyenne sur un mois donné : http://www.pnas.org/content/early/2011/10/18/1101766108.abstract http://www.realclimate.org/index.php/archives/2011/10/the-moscow-warming-hole/
  20. Pas seulement, tu as des statistiques en environnement, santé, nutrition et ailleurs. Mais c'est là où se pose de toute façon la question démocratique : jamais un chiffre (quel qu'il soit) ne permettra à lui seul de régler une opposition entre des idéologies, des visions du monde, des valeurs, des goûts, des esthétiques, etc. Je l'ai observé en débattant, certains pensent qu'un réchauffement de 2K serait déjà épouvantable, d'autres y sont indifférents, bien que les deux parlent exactement de la même chose (il n'y a pas conflit sur le chiffre et ses conséquences, mais sur l'interprétation de leur gravité pour l'homme). Pour le dire autrement, une estimation de risque fait appel à une base objective (des probabilités issues de modèles reflétant l'état de l'art) et à une base subjective (la perception personnelle / collective de ce risque). Il y a quand même un point agaçant dans la communication GIEC : les premières fuites vers les médias ou même les résumés ne sont pas simultanés à la publication des rapports complets. On l'a vu avec le SRREN 2011 sur le renouvelable, et le résultat a été nul (on s'est aperçu un mois après que le super résultat de 80% de renouvelable vanté dans le communiqué GIEC était un chiffre auquel parvenait le seul scénario Greenpeace-EREC, pas vraiment le truc qui donne scientifiquement et techniquement confiance, vu les positions maximalistes de ces deux lobbies sur l'énergie). Cela dit, je suis assez impatient de lire ce nouveau rapport, dont j'espère qu'il provient du WG1. Je n'ai pas vu dans la littérature récente beaucoup de choses nouvelles sur la détection-attribution des phénomènes extrêmes, ni forcément des choses consensuelles (par exemple sur la canicule russe de 2010 on a eu deux papiers en sens contraire, Dole 2011 dans les GRL et Rahmstorf 2011 dans les PNAS), mais j'ai dû en rater pas mal.
  21. Euh... je n'ai pas compris, là. Quand tu produit des matières plastiques ou que tu fabriques du bitume, tu commences par le déstockage (extraction) de la matière première carbonée. Et en plus, tu dépenses de l'énergie (souvent carbonée) pour l'extraction, la fabrication ou l'utilisation. Cela fait partie des solutions envisagées : par exemple, fertiliser certaines eau océaniques pauvres pour augmenter la biomasse (plancton, algue, bactérie) qui absorbe le CO2. Mais comme toutes les techniques de géo-inégénierie, il y a des inconnues et des inconvénients :http://ioc-unesco.org/index.php?option=com_content&view=article&id=290:new-ocean-fertilization-publication&catid=16&Itemid=76 Sur cette question, on peut envisager trois problématiques : la GI est-elle condamnable sur le principe? Est-elle efficace et sûre ? Quand l'utiliser ? Pour le premier point, je réponds personnellement non : si l'on accepte que l'homme provoque des déséquilibres (involontaires) dans son environnement, par certaines actions, on doit accepter qu'il mène des actions volontaires pour restaurer les équilibres. Le GI fait partie de ses actions volontaires. Sur le second point, c'est encore douteux : l'efficacité des techniques de GI les plus débattues n'est souvent que provisoire, et leur absence d'effet secondaire néfaste est très incertaine. Typiquement, quand il y a eu le Pinatubo, les régimes de mousson ont été affectés. Or 2 milliards de gens dépendent de ces régimes et comme refroidir artificiellement par aérosols revient un peu à faire du Pinatubo volontaire, c'est quand même une chose que l'on ne peut pas engager à la légère. Donc il faudra encore beaucoup de recherches et d'études pour trouver une GI maîtrisable et fiable, et prendre la responsabilité collective de l'exercer. Sur le troisième point, je réponds : en tout dernier ressort. S'il s'avère que le réchauffement climatique ou l'acidifcation des océans tendent vers leurs trajectoires les plus catastrophiques, et si les efforts pour les prévenir ont été insuffisants, ce sont un peu des solutions de la dernière chance. Mais comme on ne peut se reposer dessus (point précédent, elles sont pour le moment très incertaines), eh bien il vaut clairment mieux réfléchir à une autre stratégie fondée sur le couple prévention-adaptation.
  22. Précisons : - d'abord, tu peux lire "coût-bénéfice" comme "avantages-inconvénients", si tu es choqué par le caractère trop strictement économique de la première expression. Les décisions humaines ont des conséquences sur l'économie, mais aussi sur l'environnement, le climat, la santé, l'équité et plein d'autres choses auxquelles nous attachons une certaine importance. Il nous faut bien évaluer ces conséquences, et cela prend la forme d'avantages ou inconvénients comparés. Je mets juste en garde contre l'idée que, dans la prévention du changement climatique, il n'y aurait que des avantages et aucun inconvénient. Hélas, ce n'est pas exact en l'état de nos choix concrets. (On le voit très bien avec le débat autour du nucléaire par exemple, qui est incontestablement une forme d'énergie bénéfique pour l'effet de serre, mais qui impose aux populations des contraintes et des risques) ; - ensuite, je suis tout à fait d'accord que les démocraties moderne ont accordé un poids trop important à la seule rationalité économique (au détriment d'autres formes de rationalité, ou plutot d'une rationalité élargie englobant tous les aspects du réel) et qu'elles l'ont fait de manière pas assez critique (car comme on a pu l'observer grandeur nature avec les crises à répétition – Sirius a raison de souligner que c'est plus ancien que 2007-2008 –, la rationalité économique est singulièrement limitée dans ses capacités descriptives et prédictives, ceux qui nous garantissaient le bien-être nous ont conduit au désastre). Je suis tout à fait persuadé que l'économie est importante dans nos vies, et cela depuis le début (les humains consacrent toujours la majorité de leur temps de veille au travail et au partage des fruits travail dans un collectif), mais bien évidemment elle comporte ses propres excès et dérives. La course au profit pour le profit dans l'indifférence à tout le reste peut aussi bien conduire à des décisions irrationnelles, injustes et dangereuses. Au XIXe siècle, les industriels juraient que l'interdiction du travail le dimanche ou la limitation de la journée à moins de 10 heures provoqueraient des désastres, on s'aperçoit avec le recul du caractère aberrant (et même odieux) de leurs positions. Il faut supposer que nos descendants des 22e et 23e siècles nous regarderont aussi comme des gens simplistes et bornés ; - enfin, nous souffrons d'une mauvaise articulation entre sciences, politique et opinion. C'est une question difficile : que les chercheurs (qui n'ont que peu de temps) sortent un peu plus de leurs labos pour vulgariser, que les politiques (à formation souvent littéraire) cessent des effets de rhétorique et de manipulation, que les médias élèvent le niveau du débat au lieu de l'enfermer dans le sensationnel et l'émotion, que l'éducation et la formation continuent de progresser afin d'avoir de citoyens instruits des bases... beaucoup de facteurs entrent en jeu pour améliorer les choses.
  23. Depuis 2007-2008, les politiques de l'OCDE essaient surtout de sauver des économies qui ont été plongées vers le gouffre par divers facteurs : la déréglementation financière, le shadow banking et ses dérives spéculatives, la montée du prix de l'énergie et des matières premières, le surendettement des particuliers et des Etats. Il faut bien admettre que les marges de manoeuvre sont limitées. Mais avec ou sans crise, il reste le noeud du problème : la transition énergétique. Ci-après, pour les courageux, un lien vers un papier du Energy Journal qui analyse les scénarios économie-énergie-environnement de 5 modèles pour stabiliser à 400, 450 ou 550 ppm. Dans l'AR4 WG3, il n'y avait que 3 modèles qui analysaient les options basses (450 ppm ou en-dessous), sur 6 scénarios (pour 177 au total). Les auteurs soulignent qu'un coût économique raisonnable sera de toute façon la condition nécessaire pour que les politiques adoptent des plans. Et que la disponibilité des technologies est un critère-clé de ce coût (voire de la possibilité d'atteindre l'objectif pour 400 ppm) : si une des technologies fait défaut, les coûts grimpent vite. Or, quand on regarde les options énergétiques, on voit qu'elles demandent un certain optimisme dans les anticipations. Par exemple, les modèles assument que la capture carbone devient possible à grande échelle, sans limite de stockage pour la plupart, ou que la biomasse (entendue essentiellement au sens du biocarburant et biogaz, pas la biomasse traditionnelle dans les pays les plus pauvres) peut fournir jusqu'à 200EJ/an en scénatrio de base, avec des tests à 100 EJ/an quand même. Vu l'emprise surfacique importante de cette biomasse (qui produit aujourd'hui moins de 20 EJ et pose déjà les problèmes que l'on sait), il faut d'énormes progrès en rendement pour qu'il n'y ait pas concurrence avec les cultures alimentaires (ou les espaces protégés pour la biodiversité, si l'on veut concilier avec la préservation de l'environnement). A noter que la plupart prévoient aussi une extension continue du nucléaire, ce qui n'est pas tout à fait consensuel pour le moment... Et que plus les scénarios sont bas, moins l'humanité est censée consommer d'énergie totale en 2050 ou 2100, ce qui pose le problème de fond du développement hors OCDE et émergents. http://lepii.upmf-grenoble.fr/IMG/pdf/PC_article-energy-journal_vol31.pdf Donc à mon avis, il ne faut trop jeter la pierre aux politiques : des scénarios existent et le WG3 y travaille en effet, mais ils demandent de s'engager à long terme sur des voies qui ne sont pas très assurées, qui présentent des risques spécifiques et dont les coûts peuvent déraper assez vite si tout ne se passe pas comme prévu (il est hélas rare que tout se passe comme le prévoit un économiste). Financer la R&D du stockage carbone sans savoir si elle sera opérationnelle, relancer le nucléaire malgré la tiédeur des opinions publiques, détourner des zones cultivées pour les biocarburants, ce n'est pas le genre de décisions faciles à prendre ni à faire accepter, ce ne sont surtout pas décisions dont on peut garantir le succès à terme. Contrairement aux modèles climatiques, ces modèles énergétiques-économiques ne donnent pas de probabilité de succès ou d'échec, c'est-à-dire de mesure du risque. PS : à noter au passage que ces scénarios ne seraient évidemment pas acceptés par pas mal d'écologistes, Greenpeace ayant par exemple à plusieurs reprises condamné le nucléaire (pour les raisons que l'on sait), le biocarburant (pour la disparition des forêts primaires, la culture intensive voire OGM et l'appauvrissement des paysans) et la capture carbone (pour ses risques inhérents et l'encouragement qu'elle donne au fossile). Donc notre politique est décidément sur la corde raide et n'est même pas assuré d'avoir le soutien de ceux qui sont supposés être les plus sensibles au climat...
  24. Je pense que ta déception vient d'une mauvaise analyse de la question climatique quand elle sort du champ des mécanismes physiques, et qu'elle devient un problème politique comme un autre. C'est cela qui est important : nous ne sommes plus dans la phase où le GIEC devait convaincre de l'existence d'un problème puisque le sommet de Copenhague a reconnu l'objectif de 2K / préindustriel en 2100 (Jancovici considère que ce résultat, s'il est une simple déclaration d'intention, n'est déjà pas rien). Donc, chez les décideurs, personne d'important ne remet en cause l'analyse, aucune nation ne claque la porte des négociations en disant "c'est de la foutaise, le RCA n'existe pas, l'homme n'y est pour rien". Pour autant, le politique à l'âge moderne n'a pas pour fonction principale de régler des problèmes dont l'échéance se place à 50 ou 100 ans. Il est élu (ou pas d'ailleurs) pour régler des problèmes de court terme qui impactent la vie des gens, à échelle de la décennie grand maximum, plus souvent dans des termes encore plus courts. Le climat ou l'environnement ne peuvent que s'insérer lentement dans l'action politique, et ils ne peuvent le faire qu'en convergence avec la résolution des problèmes de court terme. Tu ne peux pas lutter contre le RCA en ignorant la justice sociale, la sécurité énergétique, le pouvoir d'achat, la politique éducative, la solidarité entre générations, la lutte contre l'extrême pauvreté, la vigilance sanitaire, etc. c'est-à-dire le lot commun des politiques répondant aux attentes des populations. A Copenhague, on a entendu toutes sortes de slogans radicaux ("System change not climate change"), et dans le contre-sommet alternatif, on voyait circuler les positions les plus maximalistes : non seulement il fallait sauver la planète et son climat, mais il n'était pas question pour cela de recourir au grand hydraulique, à la fission, à la fusion... bref, le "changement du système" consistait à reposer tout de suite sur le seul renouvelable soft et, de manière cohérente avec ce manque évident d'énergie, à stopper la société industrielle, éliminer les échanges commerciaux, supprimer le capitalisme, etc. Evidemment, si l'on part de ce niveau d'irréalisme total, on tombe de haut. Par ailleurs, il ne faut pas tout attendre du politique. En 2010, l'Agence internationale de l'énergie a chiffré à 46.000 milliards de $ les besoins en investissements dans les quarante ans à venir pour limiter de moitié (et non de 80%) les émissions de CO2 d'ici 2050. Et ce chiffre n'inclut pas les dépenses courantes pour moderniser les infrastructures en place et améliorer leur efficience énergétique, ni bien sûr les dépenses pour s'assurer que le fossile, notamment le pétrole, ne connaît pas de pénurie trop rapide qui désorganiserait complètement les économies et empêcherait ces investissements (de nouveau, rien ne se fait à long terme sans stabilité, l'instabilité est le meilleur moyen de voir revenir le chacun chez soi et le court terme). On sait par ailleurs que ce genre de chiffrage est assez systématiquement optimiste – les énergéticiens dans tous les secteurs tendent à dépasser le cahier des charges. Il ne faut pas se faire d'illusion : une bonne part de cette somme viendra des marchés financiers et alimentera des entreprises privées. Les investisseurs n'attendent plus des beaux discours sur la nécessité de sauver la planète, dont on est gavé depuis dix ans, mais désormais des projets technologiques à haute valeur ajoutée et preuve de concept assez solide, montrant que l'on peut produire et stocker de l'énergie propre sans ruiner le consommateur ou l'Etat.
  25. Cotissois : d’abord, je te rappelle que le GIEC est formé de trois groupes de travail et si le premier fait la part belle aux physiciens et chimistes, les autres sont plutôt dominés par l’économie, les sciences humaines ou les sciences de l’ingénieur. Personne, et notamment pas les membres du WG1, ne pense que l’on doit sauter directement d’un calcul sur l’atmosphère à la fixation d’un prix de kWh : chacun son boulot. Tu ne demandes pas à un physicien atomiste de déterminer le nombre souhaitable de centrales nucléaires ni à un biologiste moléculaire de décider des IVG thérapeutiques. Il vaut mieux que chacun reste dans son rôle, parce que si la science essaie de trop se mêler de politique, crois-moi qu’elle le paiera tôt ou tard en étant dégradée au même rang de crédibilité que les simples opinions politiques. Ensuite, tu as l’air de découvrir la Lune. Les politiques de santé ne sont pas décidées par l’OMS, celle du travail par l’OIT, celle de l’agriculture par la FAO, etc. Je t’ai fait observer que le problème de la faim ne date pas d’hier et est « plébiscité par l’ONU » tout comme le climat (c’est un objectif millénaire du développement) : on ne le traite pas vraiment et depuis que le développement n’est plus à la mode, il n’y a plus grand monde pour s’en offusquer. Tu comprends bien que pour une personne extérieure à la communauté climatique, c’est-à-dire 99,5% des gens sur Terre, le climat n’est pas l’objet central d’intérêt mais un sujet comme un autre. Et si l’on défend une pensée de la complexité – je crois que Sirius citait Morin – eh bien il faut en tirer les conséquences : le risque climatique doit être apprécié en relation aux risques économiques, sociaux, sanitaires, énergétiques, alimentaires, environnementaux, etc. C’est cela notamment la complexité, le fait qu’une décision dans un domaine a de fortes chances d’impacter les autres. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut rien faire, mais que les positions simplistes ou réductionnistes sont à bannir. La complexité incite à la prudence plus qu’à la radicalité, c’est une évidence. Enfin, oui, la « stabilité économique » est un des points les plus importants pour les politiques modernes. Là encore, c’est une évidence et personne ne souhaite l’instabilité économique qui dérive généralement très vite en instabilité politique. Dans le domaine de l’énergie, cette stabilité (la prévisibilité qui l’accompagne) est indispensable car on prend des décisions à terme long. Si tu te lances dans un super chantier de rénovation de ta grille et de ton réseau de transport électrique, tu dois anticiper correctement le résultat. Parce que si tu te retrouves avec un kWh deux fois plus cher que tes voisins, tu auras peut-être la joie d’avoir épargné quelques ppm dans un siècle, mais tu vas surtout observer bien avant un déficit de ta balance commerciale, une inflation et du chômage. Et du coup, ta politique climatique-énergétique a de bonnes chances d’être abandonnée par le gouvernement suivant. Regarde ce qui se passe avec les subventions solaires : la France, l’Allemagne, l’Espagne et tout récemment l’Angleterre les ont limitées ou abandonnées, après s’être donné des objectifs ambitieux voici quelques années. Ce n’est pas qu’ils ont lu Claude Allègre dans l’intervalle, juste que financer publiquement une électricité très chère n’est pas jouable quand les finances publiques manquent de moyens, surtout que cette électricité – solaire PV – n’a pas d’horizon proche de rentabilité dans nos régions tempérées (contrairement à l’éolien par exemple, qui n’est pas trop loin des autres dans les bonnes conditions d’implantation). Idem pour le biocarburant : l’Union européenne a fait un bilan très négatif des expériences menées, avec des bénéfices climatiques faibles quand on prend toute la chaîne du puits à la roue, et des conséquences délétères partout ailleurs. Crois-tu que c’est de la sagesse politique de dire « on s’en fout, tout ce qui est bon pour le climat est prioritaire, on va subventionner encore plus de solaire et dédier encore plus de terres aux biocarburants » ? Eh bien crois-le si tu veux, mais le discours climatique restera encore longtemps inaudible à ce compte-là. Bref, comme le disait Pielke Jr dans Climate Fix, les politiques climatiques ont échoué et échoueront tant qu’elles ignoreront la loi d’airain de la politique actuelle, à savoir qu’une décision ne doit a minima pas être négative pour la croissance économique, et si possible doit la favoriser. Le politique doit donc poser un défi clair aux chercheurs et ingénieurs : produire du renouvelable moins cher que le charbon (solution optimale), ou juste un peu plus cher de sorte qu’une taxe carbone modérée le rende compétitif (solution acceptable). La seule alternative à cela, c’est le discours de la décroissance. Il n’est pas absurde en soi (c’est une option politique), mais il faut en accepter les conséquences : gel puis baisse des salaires, des retraites, des indemnités chômage, des allocations, etc. dans les pays riches, gel du développement dans les pays pauvres. Dans ce cas, on peut au moins prévoir que les chercheurs du climat connaîtraient une pression autrement plus forte qu’aujourd’hui pour s’assurer que ces sacrifices massifs sont vraiment indispensables pour éviter des tourments plus importants au XXIIe siècle.
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